Le Maître Papetier Pascal Jeanjean : l’âme du papier depuis 1990.
LMdO continue son périple dans le monde des métiers du papier. C’est à Braine-Le-Comte que nous avons rencontré un personnage passionné dont l’esprit est toujours en ébullition. Pascal Jeanjean, Maître Papetier depuis 1990. Le papier : un compagnon de vie que Pascal revisite sans cesse avec des concepts très novateurs, souvent poétiques et régulièrement inattendus. Ici, le geste est précis, empreint de tradition et de futurisme.
Pascal Jeanjean : Je suis un littéraire, passionné par tout ce qui entoure le livre. A la sortie de mes études, j’ai travaillé dans la plus ancienne librairie de France où j’ai rencontré beaucoup de professionnels du livre : auteurs, éditeurs mais aussi les artisans comme les relieurs, les typographes. Je n’ai pas rencontré de papetier par contre, mais depuis longtemps, cette matière exerce sur moi une attraction et c’est à cette époque que j’ai décidé de m’y intéresser sérieusement. L’idée était de créer le papier idéal, un rêve qui m’a toujours habité. Le problème, c’est que je n’avais aucune formation. J’ai décidé de découvrir par moi même la nature des gestes qui mènent au papier, de manière à le réinventer en quelque sorte. Je n’étais influencé par aucune doctrine ou règles liées au métier de papetier, ma liberté était totale. Aucune, règle, aucune recette, pas d’à priori, j’ai pu mener des dizaines d’expériences. Elles restent d’ailleurs en moi et me permettent de répondre à des demandes très particulières sans chercher la recette pendant des mois. A bien y réfléchir, cette manière d’agir existe depuis des siècles. Les papiers les plus anciens connus ont 2300 ans. Il y a 23 siècles, les papetiers ne suivaient pas de cours, la chimie n’existait pour ainsi dire pas. Ils observaient la nature et mettaient en oeuvre des techniques simples mais efficaces.
LMdO : Le papier comme support d’impression, c’est ce à quoi on pense spontanément. Quels sont les autres champs d’application du papetier ?
PJ : Le papier occupe une place extraordinaire dans l’histoire de l’humanité. C’est un matériau qui est devenu extrêmement banal, au point que l’on en arrive à l’oublier. Pourtant, à y réfléchir, on le voit partout : papier peint, papier toilette, papier à cigarettes, sac d’aspirateur, nappe en papier, confettis, haut-parleurs, filtres à café, et bien sur, papier d’écriture. Et encore, on ne touche là qu’au domaine domestique : en industrie, les papiers sont partout aussi. C’est un matériau qui est un vecteur de développement si on regarde l’histoire de l’humanité et intimement lié à la notion de pouvoir et de sacré. C’est la mémoire de l’humanité, parole de papetier.
LMdO : Quelle est la place d’un artisan papetier dans un secteur à priori ultra industrialisé ?
PJ : La gamme de papiers disponibles sur le marché est phénoménale et les cahiers de charge peuvent être très complexes. Un artisan papetier ne peut rivaliser avec un industriel sur les volumes ou la complexité des recettes. Notre force est ailleurs. Nous sommes flexibles, capables de mettre en production de petites séries impensables pour les industriels et donc de répondre à des besoins très spécifiques de la part d’artistes ou même de clients actifs dans l’industrie qui ont des demandes très particulières. Aujourd’hui par exemple, je fabrique des filtres spéciaux pour mesurer le taux d’hygrométrie dans un processus de fabrication alimentaire : des filtres introuvables dans le commerce. Je considère le papier comme une matière première qui sert généralement d’étape pour un produit fini, que ce soit dans le milieu artistique ou industriel. Ce n’est pas seulement un support d’écriture, on peut le décliner de mille et une façons. Ce contact privilégié que j’ai avec le papier me permet d’en jauger la beauté et j’essaie de la sublimer à travers mes réalisations de luminaires ou de mobiles par exemple, ce qui est un autre aspect de mon travail. Enfin, mon expérience me permet de collaborer à des projets haut de gamme et d’écrire des cahiers de charge pour des maisons de prestige qui veulent créer des agendas exclusifs par exemple.
LMdO : Comment innovez-vous concrètement ?
PJ : Le papier est un vecteur d’écriture et de mémoire. Sa fonction est utilitaire. Je le considère comme un vecteur d’émotion et je travaille mes papiers dans ce sens. J’essaie de toucher un nombre de sens important : la vue, l’ouïe, le goût, le toucher, ce qui permet d’atteindre l’utilisateur final sur le plan émotionnel. Le premier réflexe d’un client, c’est de toucher le papier. Mais il y a une série d’autres sens qui peuvent être sollicités par la couleur, la rugosité … je travaille sur des papiers spéciaux qui changent de couleur avec la chaleur des mains pour revenir à leur état initial une fois refroidis. On me demande parfois des papiers comestibles : qui n’a pas rêvé manger sa facture de téléphone ou d’électricité ? La cellulose permet beaucoup de choses puisqu’elle est présente dans beaucoup de végétaux et est par nature comestible dans la plupart des cas. Un jour, je sortirai un essai philosophique, culinaire et humoristique sur du papier comestible avec l’idée d’aller jusqu’au bout de l’expression « dévorer un roman ». Je cherche l’auteur.
Je travaille aussi sur les papiers olfactifs qui libèrent des fragrances au contact de l’instrument d’écriture et favorisent la concentration. C’est un travail multidisciplinaire passionnant. J’ai aussi créé des papiers qui poussent. La fibre est mélangée à des graines qu’il suffit d’arroser pour transformer la feuille en mini jardin. C’est ludique.
LMdO : Le papier est-il un matériau d’avenir ?
PJ : Si le papier veut conserver son rôle de gardien de la mémoire, il va falloir reconsidérer sa durabilité surtout face à la numérisation qui n’est d’ailleurs pas sans problèmes non plus. Les ingénieurs chimistes se sont évertués à améliorer les procédés de fabrication des papiers des années durant. Mais on remarque ce que j’appelle un « trou de mémoire » entre la moitié des 19 et 20ème siècles. La piètre qualité de ces papiers a eu pour conséquence de voir un savoir important disparaître car il n’a pas été retranscrit ou digitalisé à temps. La durée de vie de ces papiers n’excédait pas 30 à 40 ans. Je pense que le papier restera un support incontournable dans l’avenir mais qu’il sera utilisé pour des ouvrages précieux et d’une certaine qualité. On peut imaginer que lire son journal sur du papier sera de l’histoire ancienne dans quelques années. une question de génération sans doute.
LMdO : Pour durer, il faut transmettre. Quelle est votre politique à cet égard ?
PJ : Il ne s’agit pas seulement de transmettre des recettes, c’est le développement d’un cinquième sens qui fait la différence pour l’artisan papetier qui veut prétendre fabriquer du papier. Je suis passé quelques jours dans l’atelier d’un Maître Papetier au début de mon apprentissage. En quelques jours, j’ai acquis le tour de main pour fabriquer les feuilles, là où certains mettent des années ou n’y arrivent jamais. On est loin du livre de bricolage pour faire du papier dans sa baignoire le dimanche matin après la messe. Le simple retournement de la feuille pour la déposer sur le feutre est un geste très compliqué à expliquer. La main devient l’outil qui va jusqu’à sentir la feuille qui se libère de la forme pour adhérer au feutre. Je le sais, je le sens. Si j’ai choisi ce métier, c’est parce que j’ai des affinités avec ce matériau qui me permet d’être en harmonie avec lui. Ça ne se décrète pas. C’est charnel, matriciel et de l’ordre de la naissance, un peu comme une métaphore de la peau : une limite entre l’intérieur et l’extérieur, ce qu’on donne à voir. Quand vous me voyez faire une feuille, j’ai les mains plongées dans une cuve pleine d’eau, pleine de cellules qui vont prendre corps, c’est de l’ordre de l’intime, une métaphore de la vie. D’ailleurs, la feuille n’est feuille que lorsqu’elle est sèche et émet un bruit au toucher, comme un nouveau né. Avant, elle n’est que cellules et est réversible. Il m’arrive de fabriquer des feuilles si fines que la quantité de fibres déposées est presque invisible, tout le secret est dans le lever de la forme à papier. Ce n’est pas simple à transmettre.
Pascal Jeanjean, Maître Papetier : le site web.
CREATION DE PAPIER
Les artisans du livre véhiculent une image de prestige et de rêve. S’y rencontrent une série d’acteurs dont l’aura se mesure à l’aune de l’importance du livre dans notre culture. Editeur, typographe et relieur participent ainsi à un imaginaire où les vertus de l’artisanat riment avec apprentissage, passion du travail bien fait et tradition. Dans cette évocation, le métier de papetier trouve rarement sa place. Etonnant paradoxe pour ce papier qui, omniprésent dans notre vie quotidienne, devient à nos yeux transparent.
Pourtant, depuis plus de vingt ans, Pascal Jeanjean s’évertue à démontrer l’existence, la nécessité et la beauté de sa profession de papetier. Des plus prestigieux musées parisiens aux ateliers d’artistes renommés, des murs d’une maison Art nouveau aux chapeaux d’une modiste namuroise, ses papiers répondent aux sollicitations les plus variées ; ses créations prennent les formes les plus inattendues. Si, à l’entame de sa carrière, Pascal Jeanjean avait dû définir les contours de son métier, ceux-ci n’auraient probablement pas effleuré ses activités présentes et à venir. Car derrière une vision assez romantique de l’artisanat, se profilent nombre d’exigences. En phase avec son temps, le papetier doit sans cesse tenir compte, quand il ne les anticipe pas, des évolutions du monde extérieur.
L’expérience de l’artisan, faite d’intuition et de savoir-faire, lui permet alors de répondre à ces attentes spécifiques, là où la production standardisée marque le pas. Producteur de papier, Pascal Jeanjean devient ainsi personne ressource d’industriels qui sollicitent son expertise pour développer des produits très spécialisés, dont on peine à imaginer jusqu’à l’existence. De lieu de production, son atelier se transforme en laboratoire d’expérimentation. D’artisan, il devient inventeur.
Les limites, Pascal Jeanjean les recule sans cesse. Les contraintes, il les transforme en autant de défis. Pour lui, les potentialités du papier sont quasiment illimitées, pressentant que ce support de mémoire deviendra demain vecteur de sensations, porteur d’émotions. Et Pascal Jeanjean de rappeler que l’histoire du papier, longue de vingt-trois siècles, prouve à l’envi que ce dernier est prêt à se transformer, certes, prouvant par son incroyable adaptabilité son caractère d’éternité mais aucunement à disparaître.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
2 Comments
Bonjour, j’aime beaucoup les deux artiste_artisan qui sont l’un et l’autre « créateurs » dans ce reportage…mais rendons à César….(l’artisan dans ce cas) ..et surtout à la ville où il a commencé son apprentissage …et qui s’appelle Braine-le-Comte…comme le Comté de Hainaut …et pas comme le compte bancaire…
Bien à vous …l’artiste auteur …en toute cordialité.
Phil
Oups, voilà une coquille corrigée, merci …