Un tableau de chasse des plus prestigieux. Alain Lovenberg : maître graveur.
Jeune écolier, Alain Lovenberg, futur Maître graveur appuyait tellement fort sur son crayon pour former ses lettres dans son cahier d’écriture qu’il y creusait de véritables sillons. L’instituteur du village, en plaisantant, dit à sa mère qu’il serait certainement graveur un jour!
Il n’avait pas tort car 12 ans plus tard, une publication de l’école de gravure dans un journal local conduira le jeune Alain Lovenberg à l’école Léon Mignon à Liège. LMdO a eu le privilège de rencontrer un des meilleurs graveurs sur arme au monde : visite guidée !
LMdO : Vos débuts furent un peu compliqués. Des prédispositions évidentes vous préparaient au métier de graveur mais l’époque était difficile ?
Alain Lovenberg : Les grandes heures de l’armurerie liégeoise commençaient déjà à être derrière nous. La FN employait jusqu’alors 140 graveurs dans sa section d’armes de chasse de luxe et ma voie était en théorie toute tracée. J’étais doué en dessin, le chef d’atelier m’avait repéré. Il m’a proposé un emploi à la sortie de mon service militaire. C’était sans compter sur les premières difficultés économiques de la branche. La FN m’est passée sous le nez et j’ai du commencer sérieusement à envisager une autre vie.
LMdO : C’est là que vous est arrivé cette histoire incroyable dans un café ?
AL : [rire …] pour vivre j’avais commencé une activité de bûcheron. Loin des armes et de la gravure mais quand même. Nous avions l’habitude de terminer nos dures journées dans un café du village. Un jour, un chasseur pousse la porte alors que nous étions attablés au café. Immédiatement, mon œil averti remarque une gravure sur son arme que je lui demande d’examiner en tant que graveur professionnel. Méfiant quant à mon allure et mon jeune âge, il refuse. Le chasseur ne me croit pas graveur. Devant mon insistance, l’homme, bon joueur, me propose un marché. Il revient le lendemain avec deux fusils gravés et me met à l’épreuve. Si je reconnais le graveur derrière les ornementations, il me recommandera à un ami armurier. L’auteur de ces gravures, un certain Leunen avait un style très particulier, je ne pouvais pas me tromper. C’est ainsi que j’ai recommencé ma carrière de graveur.
LMdO : En tant que graveur, quel est votre style ?
AL : Je suis mal placé pour en parler, par manque de recul. Mes confrères et mes clients affirment que ma patte est reconnaissable. Disons que j’apprécie les formes rondes, les courbes et les volutes et mes compositions sont plus étudiées qu’il n’y paraît. Une scène de chasse répond à une autre par exemple. Il faut prendre soin d’analyser et de comprendre une arme car la forme initiale est très importante. Elle conditionne le décor. J’accorde beaucoup d’importance à la notion d’espace et d’équilibre. Je ne remplis pas un espace, je l’organise ! Ce sont autant de facteurs qui modèlent un style. Quand j’analyse ma « production », je me rends compte que mon style prend des expressions très variées avec toujours, cependant, cette recherche d’équilibre dans l’agencement des motifs.
LMdO : Une arme de grand luxe reste un objet particulier : peu, voire pas utilisée, très onéreuse, merveille de mécanique. Parlez-nous de votre rapport à l’arme.
AL : C’est un vaste débat. Passer 500 ou mille heures voire deux mille sur un objet pour le décorer est une discipline unique et exigeante. Vous imaginez bien que ces heures ne me permettent que de produire 2 à 3 armes par an. Et encore, je ne m’occupe que de la décoration. Ces beaux fusils et ces carabines sont fabriqués par des maison renommées : ce sont à la base des objets déjà exceptionnels d’un point de vue mécanique. Je ne travaille plus qu’avec de grands armuriers. Mes clients sont principalement des collectionneurs et généralement, une arme de luxe ne tire que quelques fois avant de rejoindre une vitrine. Un de mes clients en possède 5000 à lui tout seul!
LMdO : Une arme de chasse qui passe dans vos mains devient-elle une Lovenberg ou est-elle toujours référencée comme sortant de la manufacture initiale. Le graveur devient-il la référence ?
AL : Bonne question : une arme de grand luxe est un tout, c’est une collaboration entre spécialistes de métier. On dira plus volontiers « c’est un Purdey gravé par A. Lovenberg » plutôt que « c’est un Lovenberg ». Je sais cependant que certaines armes vendues aux enchères ont pris beaucoup de valeur parce qu’elle sont passées dans mes mains. Je suppose que c’est là un signe.
LMdO : Le climat anti chasse et anti arme vous est-il préjudiciable ?
A.L. : Certainement, le public non averti a de la gravure et des armes une opinion plutôt négative à cause de ce climat. On m’a d’ailleurs souvent demandé pourquoi je grave des armes. Bien qu’il ne soit pas reconnu comme tel, j’estime réaliser un travail artistique. Je grave aussi des bijoux, des stylos, des couteaux .
Heureusement, il reste des amateurs et des collectionneurs, clients fidèles, quel que soit le contexte. Plus fondamentalement, ces armes ne tirent pas pour ainsi dire, au plus quelques coups à de grandes occasions puis elles sont exposées en vitrine. On dit que les armes sont les bijoux des hommes!
Evidemment, si la législation se durcit, ce qui est le cas chez nous, ce n’est pas très favorable à la profession d’armurier ni à tous les métiers qui gravitent autour de cette activité, dont le mien. Pourtant, même en 2012, la chasse reste absolument indispensable pour garder un équilibre. Supprimez la et je vous assure que rapidement la gestion du parc animalier posera de graves problèmes. Je doute que les agriculteurs voient d’un bon œil des hordes de sangliers dévaster leurs cultures. Ils ne resteront pas les bras croisés très longtemps.
LMdO : Vous avez un beau tableau de chasse à votre actif ? Je parle de vos clients …
A.L. : J’ai en effet réalisé des gravures pour des personnes renommées, je ne les citerai pas toutes. Par l’intermédiaire d’ armuriers, j’ai gravé quelques armes pour le roi du Maroc, pour Spielberg, j’ai aussi rencontré Georges Bush… une de mes armes est devenue « star » dans le film « In the Blood » film dédié à un safari organisé pour le Président des Etats-Unis, Théodore Roosevelt. Ce film n’a jamais été diffusé chez nous.
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Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
2 Comments
De la balle, comme toujours!
Belle cartouche hein ?