Le sujet est vaste : tailleurs de pierres, carriers, paveurs, conducteurs d’engins, artificiers, techniciens d’armures, ingénieurs, géologues et tous les intervenants qui transforment et façonnent : faire le tour des métiers de la pierre, c’est un travail énorme mais passionnant. C’est qu’à Soignies, l’or bleu est partout. Les grandes carrières brassent des volumes impressionnants de pierres bleues dans des installations souvent gigantesques. Et puis derrière le vacarme des engins de levage et d’extraction, s’élèvent les délicats cliquetis des impacts de maillets sur les burins qui martèlent la pierre. Le « petit » indépendant n’est jamais loin, blotti dans son atelier.
Ainsi, au 49 de la rue Mademoiselle Hanicq, on naissait dans les pierres depuis 3 générations. Bienvenue dans le monde des tailleurs de pierres. Métier ancestral qui se transmettait ici de père en fils. Quand j’ai rencontré Jean en 2010, il était derrière ses outils depuis près de 64 ans. Il avait 16 ans quand il a officiellement secondé son père, tombier à Soignies depuis 1898. Une génération plus tard, et quelques tonnes de pierres soulevées qui vont avec, Jean a fini par déposer les armes. Son petit atelier a été rasé et la maison qui le jouxtait commence à prendre de nouvelles allures. La mémoire de Jean veille : chez les Bersoux, la proximité des carrières n’a jamais entamé l’indépendance de 3 générations de tailleurs. Tombiers de père en fils (Lire à ce propos l’ouvrage de JL Van Belle : R. Bersoux (1898-1955) Tombier Sonégien aux éditions de la Taille d’Aulme), l’avènement du granite sonne le glas du monument en pierre bleue. Le travail devient un travail d’ornementation : Jean passera le plus clair de son temps à ciseler des cheminées, tailler des armoiries pour quelques familles prestigieuses ou à relever une porte d’entrée d’un encadrement magistral de pierres bleues sculptées. 64 ans après le début de sa carrière, Jean était toujours en quête de nouveauté et de défis. A l’instar des grands acteurs, c’est en scène qu’il mourra, tailleur de pierre jusqu’à son dernier souffle. Il m’évoquait les souvenirs de ce qu’il appelait « la grande époque ». Quelques pièces vraiment uniques ont marqué sa vie de tailleur.
La reine Fabiola lui a, en son temps, ainsi commandé un monument funéraire. Elle voulait un travail exceptionnel pour une amie proche décédée inopinément.
A la question de savoir si Jean se considérait comme un artiste, il répondait avec l’œil plein de malice : Je n’ai plus assez de cheveux pour cela … par contre les sculpteurs contemporains viennent régulièrement me voir pour obtenir des conseils sur la manière de venir à bout d’une pièce ou pour un conseil technique … c’est assez paradoxale, moi qui me considère comme un simple artisan de la pierre. Je me souviens de Corine qui est venue 10 ans à la maison à raison d’un jour par semaine. Elle m’avoue aujourd’hui que jamais elle n’aurait pu maîtriser son art sans m’avoir côtoyé … je dois donc effectivement avoir un pied de chaque côté : artiste, artisan … mais est-ce vraiment important?
La culture de la pierre est telle à Soignies que je n’ai pas eu beaucoup de mal à trouver la génération montante, aidée en cela par le tout nouveau Pôle de la Pierre en plein essor. On y enseigne les dizaines de métiers liés à l’exploitation de la pierre. L’agence Wallonne du Patrimoine (AWaP) a en effet décidé de centraliser les formations relatives aux métiers de la pierre sur le prestigieux site des anciennes carrières Wincqz, un lieu chargé d’histoire puisqu’elles ont été parmi les premières carrières exploitées de manière industrielle au dix-neuvième siècle chez nous. Nous y retrouvons Alexandre Callet en plein exercice de transmission de son savoir, à quelques mètres seulement de l’atelier de Jean. Alexandre met ses connaissances au service des apprentis qui ont poussé les portes du centre de formation mais ce n’est là qu’une de ses compétences.
Formé de manière assez académique à la maîtrise des volumes, la taille de la pierre, l’ornementation et la sculpture classique, Alexandre a d’abord exercé son métier sur le patrimoine bâti. Sa France natale regorge de bâtiments historiques et le jeune apprenti a vite fait de trouver des entreprises qui vont lui confier d’abord des tâches simples. Le don d’Alexandre pour l’ornementation va rapidement convaincre ses commanditaires de lui confier des travaux plus artistiques. Ses armes, il va les faire en France sur Le Panthéon, Le Louvre, le Salon d’Abondance à Versailles, les cathédrales de Nantes, de Belfort, parfois perché à des dizaines de mètres de hauteurs, dans des situations certes inconfortables mais au combien valorisantes. La restauration, c’est la meilleure école pour pouvoir accéder à la création pure, celle à laquelle Alexandre aspire en tant que sculpteur de pierres cette fois. C’est la rencontre de son épouse qui va convaincre Alexandre de poser ses valises dans le Hainaut, un choix qu’il ne regrette pas. Si la Belgique n’a pas le prestige de la France, elle n’en est pas moins accueillante et réputée pour ses conditions de travail moins rigides qu’outre Quiévrain.
Alexandre Callet, la tension d’une ligne qui suspend le temps…
Au commencement… Alexandre a été attiré par un objet, une forme… Il l’a ramassée. Il l’a dessinée. Il l’a oubliée et retrouvée. Un jour, elle lui donne un déclic. La sculpture vient à lui. « Je me suis perdu dans un cheminement et, parce que je me suis perdu, quelque chose émerge, naît ».
Ainsi viennent l’inspiration, la découverte de l’idée, puis, ensuite la quête de ce que cette intuition va apporter comme résonnance. Alors, sur une grande feuille de papier à dessin, il ébauche une carte, comme une carte aux trésors. Certes, il pressent l’objet qu’il va sculpter mais il doit tracer un chemin, faire une enquête afin de savoir, ou en tout cas tenter de mieux cerner, ce qu’elle est. Il y dépose des pièces éparses comme s’il s’agissait d’un puzzle. « Le dessin sert de recherche et d’étude des formes. Les lectures, l’écoute du monde et les rencontres se côtoient, se complètent et s’additionnent en un espace défini. Ce moment d’écriture du plan, de la carte de la sculpture à venir est un bouillonnement d’idées. » Peu à peu, il relie les éléments entre eux. « Et à un moment, tout s’imbrique, se supporte et donne une forme qui va en être la synthèse … La pièce me dépasse … Elle m’impose des choses, comme si elle avait en elle une demande qui ne cesse de se représenter à moi tant que je n’ai pas trouvé la ligne juste qui offrira une résonance digne de ce que je veux communiquer…»
Alexandre Callet : le Site Web
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
2 Comments
Bonjour, en fait le tailleur de pierre est « Jean Bersoux » et non » Bressoux », comme repris dans votre texte.
Merci pour la précision.