La canne après la tempête … Pierre Vanherck : facteur de cannes bijoux.
Popularisée dans l’imaginaire collectif par un certain Charlie Chaplin, la canne à marcher est un accessoire qui existe depuis la nuit des temps. Dans son expression la plus simple, elle s’apparente à un bâton rudimentaire. C’est sans compter sur Pierre Vanherck qui il lui redonne ses lettres de noblesse dans son petit atelier du Brabant Wallon. Et de la plus belle des manières.
Souvenez-vous. A l’hiver 1991, une tempête balaie la Belgique et met des milliers d’arbres au sol. A cette époque Pierre exerce encore son métier d’origine d’électro mécanicien. Qu’à cela ne tienne, le week-end, il enfile son équipement de bûcheron et commence à bûcheronner les arbres de Bois de Seigneur Isaac. La passion pour le bois ne faisait que commencer… la reconversion vers le facteur de cannes à marcher est en route.
Pierre Vanherck : Le bûcheronnage était pour moi une façon de m’oxygéner la tête. Le boulot devenait franchement difficile et j’aimais à me retrouver au milieu des bois. Cela n’a d’ailleurs pas changé. Ce qui a changé par contre, c’est mon rapport au bois. Voir ces montagnes de bois de chauffage sous mes yeux a fini par titiller mon âme de créateur et j’ai empoigné ma défonceuse pour commencer à en faire des meubles. Sans aucune formation et très mal équipé, j’ai aménagé ma maison. Je me suis pris au jeu au point d’en faire mon activité principale. Il fallait que je m’équipe et j’ai racheté un atelier complet à un confrère : machines et stock de bois. Des mois durant, j’ai continué à faire des meubles jusqu’au moment où je me suis intéressé au stock de bois que j’avais acquis en même temps que les machines. Intrigué par la nature exotique de ces pièces de bois, j’ai fini par rappeler l’ancien propriétaire pour avoir des renseignements. J’avais entre les mains du bois exotique qui provenait d’un fabriquant de cannes à marcher du 19ème siècle dont les bois avaient déjà survécu une génération sans être travaillés. Mon interlocuteur ajouta : plus personne n’est capable de tourner ces bois à l’heure d’aujourd’hui, le savoir faire est perdu. Le défi était lancé !
Entre temps, j’avais commencé à faire mes premiers pas comme tourneur et j’ai vite adoré cela. Il n’en fallait pas plus pour je me lance dans l’aventure : un tourneur sur bois qui a la maîtrise est capable de tourner un fût de canne : ça fait 90cm de long, ça vibre au centre, il faut trouver les techniques pour neutraliser cette vibration et c’est un cône parfait, de quoi effectivement mettre à l’épreuve les qualités d’un tourneur.
LMdO : Votre première canne était née ?
PVH : Disons qu’elle était encore assez rudimentaire puisque je n’étais pas encore entouré des artisans actuels qui me secondent dans les pièces d’orfèvrerie ou de joaillerie : la finition était encore très simple. J’ai poussé la porte d’un bijoutier pour acheter une simple alliance que j’ai utilisée comme bague de jonction entre le pommeau d’ébène et le fût. Quelques semaines plus tard, contre toute attente, j’ai vendu la canne sur mon stand Artisanart où j’exposais ce que je savais faire : bols, stylos, saladiers tournés. N’ayant aucune idée de la valeur marchande de l’objet (dont je ne voulais pas me séparer), mon acheteur me dit que mon prix sera le sien. Pris de court, je pense à rentabiliser mon emplacement et lui demande le prix de la location de mon stand. Il me tend l’argent et disparaît. Quelques heures plus tard, il revient vers moi et là, tout devient limpide. Il n’utilise pas la canne, il la porte, il la magnifie, il se dandine littéralement. Je n’oublierai jamais son allure et toute la charge symbolique de mon objet : sa prestance allait changer ma vie.
Je me suis enfermé six mois dans mon atelier avec un objectif : sortir des cannes qui n’ont jamais été vues.
LMdO : Et six mois plus tard ?
PVH : J’avais trouvé ma griffe et mon style : couler du métal dans les blessures du bois des pommeaux pour en faire des objets lisses et esthétiques. J’ai fait mes premiers essais sur des bois classiques mais le véritable déclic s’est fait quand j’ai découvert les noix de Banksia issues d’un petit arbuste australien. Ses cavités naturelles qui contiennent les graines sont remplies d’argent selon une technique qui m’est propre et qui est un peu mon secret de fabrication.
LMdO : A partir de là, tout va s’enchaîner jusqu’à ce fameux coup de téléphone de 2009 …
PVH : surréaliste … une commande directe du Vatican pour Sa Sainteté Benoît 16. J’avoue avoir cru à une blague au départ mais non.
Très sobre, cette canne a été réalisée en palissandre des indes pour le fût (le bois dans lequel la canne est montée) et en ébène du Gabon pour le pommeau. En outre, en travaillant l’aubier – la couche juste après l’écorce et avant le duramen- de l’ébène, Pierre Vanherck a pu mettre en avant une petite tache blanchâtre, impossible à reproduire sur un autre pommeau. Cette canne est disposée dans un écrin de merisier, d’un arbre qu’il a abattu il y a cinq ans dans le « Bois Planté » à Bois- Seigneur-Isaac. La réalisation de ce type de canne lui demande une trentaine d’heures. Ce sont les finitions qui lui prennent le plus de temps. En effet, l’artisan dispose quinze couches d’une huile faite d’un mélange d’huile de paraffine, de cire d’abeille et d’un troisième ingrédient secret ; dix couches sont mises à chaud et les cinq dernières à froid, avec entre chaque couche, un dépolissage et un polissage. Cette technique permet d’imprégner la canne « au cœur » et de donner la sensation de toucher la matière noble du bois
LMdO : Malgré son côté utilitaire indéniable, vous vous employez néanmoins à sortir la canne du domaine orthopédique pour en faire un accessoire de mode, un accessoire branché.
PVH : La canne d’après guerre est effectivement devenue un objet d’aide à la marche sans plus aucune recherche esthétique. J’ai voulu casser cette image. Une canne Pierre Vanherck remplit son rôle mais en allant au bout de l’excellence esthétique. La dernière personne qui m’a acheté une canne m’a dit être ravie de m’avoir trouvé : « je vais enfin pouvoir me montrer » m’a t’elle dit. Malgré cela, la canne n’a pas parfois d’autre utilité que celle d’un accessoire de mode et le retour au néo dandysme que les couturiers affectionnent pour l’instant m’est profitable. Les hommes sont très apprêtés et la canne reprend ses lettres de noblesse au même titre que le chapeau, la montre ou la chaussure de luxe.
LMdO : Au point de se retrouver sur la place Vandôme.
PVH : C’est la surprise de cette année 2013. La prestigieuse maison Lo And Lo a demandé à ce que je crée un modèle unique que l’on ne pourra se procurer que là. La canne est composée des bois les plus précieux, des métaux les plus rares et est surmontée de diamants. C’est l’exercice le plus abouti à ce jour en terme de canne bijou. J’en suis très fier. Je pense que je n’aurai pas assez d’une vie pour mener toutes mes idées à leur terme : les cannes objets par exemple sont sans limite.
LMdO : Mais encore ?
PVH : Le diamètre du fût peut contenir les choses les plus inattendues : une fiole de whisky, un cigare, un stylo, une lame, une montre. C’est très ludique. En 2014, je sors ma première canne olfactive. A 20°, la fragrance contenue dans la fiole de la canne est libérée comme une signature du propriétaire. Je suis même parvenu à sortir des cannes galbée dont la courbure témoigne habituellement de l’usure. Certains de mes clients désiraient des cannes hyper contemporaines mais dont la courbe pouvait laisser penser que l’objet est vieux de 200 ans. Je suis résolument tourné vers l’avenir et ce métier me passionne.
Le site de Pierre Vanherck
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
2 Comments
Magnifique reportage.
Ma photo préférée : 9/22 … un régal visuel !
T’es un sacré bonhomme quand même .. 🙂
Eric
Merci Eric … 🙂