Le damas découpé en tranches … l’art du coutelier.
Vous n’êtes pas coutelier ? Le damas ? Kesako ? Historiquement le terme a été utilisé en premier lieu pour désigner un acier, aussi appelé wootz, élaboré en Inde et forgé en Moyen-Orient, réputé pour sa qualité et caractérisé par son aspect ou ses motifs moirés.
Par erreur ou abus de langage, le terme a ultérieurement été employé pour désigner des matériaux composites, constitués de plusieurs nuances d’acier soudés et forgés en des motifs plus ou moins complexes, aussi appelé acier Damas de corroyage, réalisé dans de nombreux pays, et présentant une ressemblance superficielle avec l’acier Damas wootz. Malgré leur ressemblance superficielle liée à la présence de motifs visibles à l’œil nu à leur surface, ces deux matériaux sont de nature, d’élaboration et de propriétés très différentes. Bien que l’acier de Damas originel soit l’acier de type wootz, sa relative rareté a conduit à ce que le terme damas utilisé par le coutelier désigne essentiellement des damas de corroyage, son usage dans ce sens est donc devenu courant et légitime. En réaction, les aciers de type wootz sont parfois appelés « vrai Damas ».
Une des caractéristiques les plus évidentes des aciers Damas (sous leurs deux formes) est la singularité de leurs apparences visuelles. Si une ressemblance superficielle peut exister entre les motifs du wootz et du Damas de corroyage, leur nature est complètement différente.
Le motif observé par le coutelier sur le wootz est le produit de la cristallisation du métal lors de son élaboration, la haute teneur en carbone produisant les motifs caractéristique. La création des motifs est pour l’essentiel spontanée et ne peut être que marginalement maîtrisée.
Les motifs présents sur le Damas de corroyage correspondent à la déformation que l’on a donnée dans le lingot de damas. Contrairement au wootz, la forme du motif est intentionnellement choisie par le forgeron au moment de l’élaboration de la pièce en provoquant des déformations soit par des techniques de forge libre, soit en estampant la barre de matériau composite des motifs recherchés. Les motifs possibles sont très nombreux suivant les types d’acier et l’habilité du producteur (formes simples comme des lignes parallèles, vagues, ronds, carrés… mais également des motifs élaborés tels de petits dessins).
Dans les deux cas, ces motifs sont en général peu discernables à l’état brut du matériau et doivent être « révélés » par des traitement particuliers (en général chimiques). La révélation s’effectue dans un bain de perchlorure de fer qui va oxyder de façon différente les acier au carbone et les aciers qui contiennent du nickel. Cette différence d’oxydation produira l’apparition des couches du damas [source Wikipédia – correction par le coutelier JF Colla]
C’est donc de damas de corroyage dont LMdO va vous parler en compagnie d’un des très rares artisans wallons à s’y frotter pour notre plus grand plaisir …
LMdO : De horticulteur à coutelier, il n’y a qu’un pas ?
Jean-François Colla : C’est quand même un grand écart … je suis devenu coutelier par passion mais l’horticulture reste mon métier. Les couteaux sont ma deuxième vie. Mais à y réfléchir, ils viennent de ma plus tendre enfance, lorsque nous accompagnions nos parents pour les coupes de bois annuelles. Nous élaguions les branches avec nos serpettes et nos couteaux de poche. Il n’a pas fallu longtemps pour que je récupère un morceau de fer rouillé pour tenter d’en sortir mon premier couteau, j’avais 12 ans … A 16 ans, j’avais ma première forge à charbon.
LMdO : C’est votre premier martinet qui vous a amené au damas ?
JFC : En réalité, je m’étais déjà frotté au damas à la main mais vous imaginez bien que c’est un travail titanesque : battre le fer à la main c’est vraiment très dur. Mon premier martinet m’a bien aidé mais c’est devenu vraiment sérieux quand j’ai acquis mon pilon de 80kg qui exerce une pression de 20 tonnes à chaque coup : vous ne pouvez pas rivaliser avec cette grosse artillerie. Le travail est plus rapide et la qualité des lames du coutelier s’en ressent immédiatement car les pertes en carbone diminuent et la résistance de la lame monte en flèche. Sur le terrain, quand la lame rencontre un obstacle (comme un clou par exemple), la propagation de l’onde se fait moins rapidement car elle doit traverser la multitude de couches.
LMdO : Pourquoi le damas plus qu’autre chose ?
JFC : C’est d’abord par intérêt personnel et par souci de respect de la tradition de coutelier puisque la vallée de la Vesdre était connue pour ses canons de fusils de chasse en damas. Il y a donc un certain savoir faire même si les activités des canonniers ont cessé en 1925. Ceci étant, la technique même de soudabilité des aciers permet d’augmenter la résistance du matériau aux chocs et c’est une caractéristique qui m’intéresse beaucoup. Tous mes couteaux subissent mon petit test maison lorsqu’ils sont trempés revenus : je frappe violemment de tranchant sur une barre d’acier … si la lame résiste, elle est bonne pour la vente. pour un coutelier, évidemment, la cerise sur le gâteau, c’est que le damas est superbe à travailler pour son côté esthétique. Je ne me lasse pas de découvrir les dessins moirés que la forge me permet d’obtenir.
LMdO : Avec un nombre de couches impressionnant pour un novice non coutelier ?
JFC : Mes lames comptent entre 200 et 600 couches et sont composées des meilleurs aciers disponibles. C’est une bonne moyenne pour obtenir une lame esthétiquement intéressante. Au delà de 1500 couches, le dessin disparaît et les caractéristiques de l’acier qui compose la lame redeviennent homogènes. A mes yeux, cela présente moins d’intérêt mais les couteliers japonais vont jusqu’à 15.000 couches afin d’homogénéiser une matière qui à l’origine ne l’est pas (bulle d’air, scorie,…). C’est impressionnant mais exponentiel … un 600 couches replié 5 fois donne déjà 3000 couches à l’arrivée …
LMdO : Objet de luxe ou utilitaire ?
JFC : Utilitaire avant tout. Un couteau, c’est fait pour être utilisé, je n’aimerais pas les savoir dans une vitrine ou dans le fond d’une armoire. C’est gratifiant pour le coutelier de savoir que son objet est utilisé sur le terrain.
LMdO : Vous fabriquez vos couteaux à 100% …
JFC : Tout est forgé ici. Tous les traitements thermiques sont menés ici. Je fais les manches et les finitions. Même les étuis en cuir sortent de mon atelier, mais mon père s’occupe des commandes plus pointues demandées par les clients les plus exigeants. Le cuir, c’est sa spécialité. Il m’arrive parfois de sous traiter les éventuelles gravures qui demandent une expertise toute particulière mais c’est plus rare.
LMdO : A quel moment votre couteau prend t’il réellement vie ?
JFC : Il y a 3 moments clé à mon sens pour le coutelier : quand on limite dans la forge la partie lame de la partie manche, c’est la première étape. La révélation à l’acide du damas reste vraiment magique même si je sais où je vais en forgeant, il ne reste pas moins que le dessin reste l’instant décisif quand on fait du damas. Enfin, j’aime bien le détourage des manches, ils finissent la pièce et contribuent à leur équilibre. Quoi qu’il en soit, ma production est 100% sur mesure.
Fier d’être : coutelier de poche, l’autre article sur les couteaux de LMdO.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
Comment
Superbe, j’adore ce mélange de photos couleurs et en noir et blanc