Le Typographe : Cédric Chauvelot, un homme de caractères.
Après la reliure et la fabrication du papier, LMdO se penche sur l’impression et plus précisément sur le métier de typographe. C’est qu’à Bruxelles, il existe encore une poignée d’artisans spécialisés en technique typographique, c’est à dire l’impression aux lettres de plomb mobiles. Les offsets n’ont pas encore tout-à-fait relégué les belles mécaniques Heidelberg dans le fonds des musées. LMdO avait déjà poussé la porte du Démocrate en France où le journal local est encore imprimé sur une linotype.
Cette fois c’est dans un atelier de la rue Américaine que nous vous invitons au voyage. Au numéro 67, dans l’arrière cour, cinq magnifiques Heidelberg ronronnent encore. Impression, emboutissage, gaufrage, pliures, découpes, perforations, ces vieilles dames de près d’un demi siècle ont plus d’un tour dans leur sac.
Cédric Chauvelot : C’est presque sur un coup de tête que mon aventure de typographe a commencé. J’avais récolté quelques cases de plomb dans le cadre de mes études à Besançon. Elles étaient destinées à la poubelle et je les ai récupérées in extremis. J’ai commencé à travailler seul, sans aucune connaissance préalable par essais-erreurs dans mon premier atelier après avoir racheté une Heidelberg encore bien mystérieuse pour moi à l’époque. Deux ans plus tard, Pierre Voisin mon professeur de typographie est venu vivre en Belgique. Nos chemins se sont recroisés et c’est lui qui m’a appris le métier puisque le professeur a travaillé pour l’élève pendant quelques temps. Son passage a été déterminant pour moi ne fût-ce que pour son expertise dans le contrôle des typos de plomb que nous avons récupérées un peu partout en Europe. J’en ai plus de 400 en atelier et elles sont toutes validées par l’œil expert de Pierre Voisin. De fil en aiguille, j’ai acquis le savoir faire pour monter un atelier plus ambitieux.[
LMdO : C’est quoi un bon typographe ?
CC : Ces machines Heidelberg permettent au bon typographe de simplement déposer l’encre sur le papier, sans exercer une pression trop importante qui détruit les typos si on y va trop fort. Le plomb est un matériau fort fragile. Tout le savoir faire de l’imprimeur vient de sa capacité à régler sa machine. Tous les sens sont en éveil : la vue, l’ouïe, le toucher … pas question de travailler en musique dans l’atelier, je dois entendre mes machines.
LMdO : Qu’est-ce qui vous attire dans ce métier ?
CC : Le typographe assemble ses caractères de plomb pour pouvoir imprimer, un peu à la manière d’un mécano. C’est une étape que j’aime beaucoup. Techniquement, c’est une profession assez limitée. Je ne peux pas faire tous les travaux d’impression et je suis d’ailleurs parfois obligé de refuser certains projets. Il ne m’est pas possible d’imprimer une photo par exemple. C’est cette limitation technique qui me permet de faire vagabonder mon esprit ailleurs et d’être créatif. Derrière un programme de publication assistée par ordinateur, il n’y a plus de limites. Nous, nous travaillons des corps 6, 8, 10 par exemple. Pas question de venir avec du 6.3, ça n’existe tout simplement pas. Et j’aime ce cadre un peu strict de travail. Le rapport au papier est aussi très important. J’aime être en quête de beaux papiers, teintés dans la masse aux touchers différents. Une imprimerie traditionnelle a un stock de papier blanc et le travail de l’imprimeur est de couvrir le papier de couleurs. Chez le Typographe, le papier participe en plein au produit fini.
LMdO : Parallèlement à l’impression vous développez aussi vos produits de papeterie. Comment en êtes-vous venu à ce concept plus global ?
CC : J’avais très envie de développer cet aspect de la profession mais chaque fois que je faisais appel à une maison connue pour vendre leurs produits les portes restaient fermées. Le réseau de revendeur était en général déjà établi en concept store et il n’y avait pas de place pour moi. Au lieu de perdre de l’énergie à essayer de convaincre, j’ai développé mes propres gammes de produits de papeterie. Je me suis fourni en papiers et j’ai commencé à imprimer les carnets que j’imaginais.
LMdO : Pour quel type de clientèle ?
CC : D’abord et avant tout pour les particuliers. Ma première implantation était un commerce de proximité et je tiens à ce que ça le reste. Notre clientèle s’est très diversifiée et internationalisée aussi. Le Typographe est maintenant présent sur la planète entière à travers des points de vente. L’impression reste destinée à des clients majoritairement locaux. Ça ne nous empêche pas de créer des cartes de visite pour le Japon par exemple mais c’est plus rare. Ce sont les produits de papeterie (carnets, enveloppes, …) qui s’exportent le mieux. 400 produits répartis sur 600 points de vente à travers le monde.
LMdO : Des produits conçus en interne à 100% ?
CC : C’est mon plaisir personnel en effet : je m’octroie l’exclusivité des développements graphiques. Les idées qui me viennent sont simples et nombreuses. Nous les mettons en oeuvre ensuite au niveau de l’atelier. C’est débriefé collectivement au cous de notre petite réunion de production tous les matins à 10.00 précise autour du café et du thé. A cette occasion nous parlons des problèmes de production, des plannings et des futurs produits. C’est très convivial …
LMdO : Convivial jusqu’au repas de midi, préparé par le patron s’il vous plait …
CC: J’arrive à l’atelier à 05.00 pour préparer les plannings. A la fermeture, je m’enferme dans mon bureau pour travailler sur les nouveaux concepts, faire de l’administration. Bien souvent, je quitte à l’atelier vers 21.00. Alors le midi, je cuisine pour tout le monde, c’est ma soupape de décompression.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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Je suis le Papa