Jane Sylvie Van den Bosch : insuffleuse de vie, souffleuse de verre.
LMdO : En te regardant souffler et dompter la matière, j’ai pour la première fois eu l’impression d’avoir en face de moi non pas un artisan mais un lutteur, tu fais corps avec la matière …
Jane : Absolument … Après quelques années comme décoratrice, j’avais une envie profonde de retrouver le contact avec la matière : voir le verre en fusion a été le déclic. La matière s’est imposée comme une révélation. C’est un coup de foudre comme on les connait en amour. En quelques secondes, j’ai su que ma vie allait changer pour devenir souffleuse de verre. Encore fallait-il se former ! A 37 ans, j’ai donc repris le chemin de l’école, en Flandre … je ne parlais pas un mot de néerlandais, je ne connaissais rien au verre, c’était catastrophique au départ mais ça a été une chance immense à l’arrivée, celle de dépasser mes propres limites.
LMdO : Une marche en avant ?
JS : C’est comme une danse, marche avant et marche arrière. Le verre est un matériau extraordinaire de ce point de vue … A peine cueilli, on anticipe déjà le travail au banc en n’oubliant jamais d’imprimer le mouvement circulaire indispensable à la bonne tenue de la pièce. Chaud (+-1000°), le verre est mou, voire coulant, et quelques secondes plus tard, le voilà dur comme un roc. Mais rien n’empêche de revenir en arrière, de repartir au feu et de retravailler. C’est un mouvement de va et vient assez unique, c’est un rapport au temps passionnant. Il devient fluide comme la pièce que tu crées. La souffleuse de verre est à la fois devant et derrière le temps. Il n’y a que le temps humain qui fait marche avant, pas celui du verre. Le verre fait partie de ces rares matériaux avec lesquels tu peux « aller et venir » sur une ligne du temps « malléable ». Pour la terre c’est l’eau qui rend cela possible, pour le verre c’est la chaleur, le feu. Mais avec le verre, pas question de revenir demain, c’est « Maintenant ». C’est vraiment un temps conjugué où la longueur des secondes change. Une drogue.
LMdO : Une drogue rare …
JS : Je ne possède pas les fours nécessaires à la pratique du métier. Je vais donc à Lier chez Patrick pour la fabrication des pièces que je termine ici. Il n’est pas forcément réaliste d’imaginer avoir chacun nos propres installations : seule, cela demande beaucoup d’argent et d’énergie, c’est difficilement rentable. Donc oui, je suis en manque régulier de possibilités de travailler. De plus, pour mes pièces, j’aime travailler en équipe comme je le fais avec Patrick Van Tilborgh. Travailler en équipe demande plusieurs choses, à commencer par la volonté d’aider « l’autre » à aboutir sa pièce. Puis, il y a l’attention, la dextérité, la rapidité. Un regard, et derrière l’action. Dans la durée ça devient de la complicité. Le rythme est aussi très important. Je sais tout de suite si quelqu’un est potentiellement« sur le même rythme » ou pas . J’imagine que c’est vrai pour bon nombre de binômes. C’est un peu comme danser le tango : c’est tendu, mais tu es dans la passion et aussi dans une forme de fluidité, de synchronicité. Quand ton corps donne le tempo, « sent » si c’est le moment, tu es dans la vérité de la chose. Le corps guide, l’esprit suit. Il faut s’y abandonner. C’est une discipline physique et sensuelle au contact d’une matière tendre et dure, réactive à souhait.
LMdO : Créative, manuelle avec neurones pour reprendre ton expression …
JS : A la question « êtes-vous ceci ou cela ? », entendez artiste, artisan ou ? je réponds cela … c’est le seul tiroir dans lequel je veux bien rester un peu, car derrière cette terminologie, je peux aussi être peintre, planteuse de légumes, coloriste, souffleuse de verre etc. C’est difficile de se définir avec juste un mot, genre « artiste », sans être réducteur. D’autant qu’aujourd’hui dans l’art verrier contemporain, un « artiste » est régulièrement un commanditaire fortuné qui signera une pièce qu’il n’aura pour ainsi dire pas touchée.
LMdO : Dans l’imaginaire populaire, le cristal est à le verrerie ce que l’or est à la bijouterie. Comment te situes tu par rapport à la « noblesse » de la matière.
JS : Tu touches là un point sensible. J’aimerais éclairer un peu ce malentendu collectif. Le cristal c’est du verre avec 27% d’oxyde de plomb, rien d’autre. Ce plomb a été ajouté vers le XVIII e pour diminuer sensiblement le point de fusion du sable et par conséquent, les coûts de fabrication. Comme le plomb est tendre, le cristal est plus facile à tailler que le verre. Le cristal est donc moins cher à produire que le verre et parallèlement beaucoup plus polluant à cause du plomb … mais il jouit d’une image formidable grâce à un marketing efficace. Les cristalleries sont trop souvent les arbres qui cachent la forêt du vivier des verriers contemporains, et un arbre qui tombe fait plus bruit qu’une forêt qui pousse, c’est bien connu. Ma perception quant à la noblesse de la matière est une évidence, celle du mariage du sable et du feu, célébré par la main de l’homme.
LMdO remercie Jane Sylvie et Patrick Van Tilborgh pour leur accueil ...
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
2 Comments
Passionnant! Très beau travail , très fin. Merci pour vos artciles et vos photos.
Merci Xavier.