Safran de Cotchia : l’or rouge de Hesbaye, le safranier belge.
Onze générations ! Onze générations de gens de la terre, d’agriculteurs, d’entrepreneurs infatigables ! Quand j’ai croisé Eric Léonard et son épouse pour la première journée de reportage, ils ne dormaient que quelques heures par jour. C’est que le safran de Cotchia, cet or rouge de Hesbaye, ne laisse que peu de répit au safranier. Et cette année, la récolte est exceptionnelle. Une belle récompense après avoir failli tout perdre suite à un orage catastrophique sur l’exploitation quelques années plus tôt.
LMdO : Réglons tout de suite la question qui taraude tous vos visiteurs : le Cotchia ?
Eric Léonard : C’est un hommage à mon arrière grand père dont le surnom était le Cotchia. L’origine est peut-être celte, on n’en est pas certains. Grand mais qui ne rompt pas ! Cet homme de grande taille a vécu la première guerre et était un entrepreneur incroyable pour son époque. La taille n’a pas été transmise aux générations suivantes mais le goût d’entreprendre est resté intact. Comme les roseaux que mon arrière grand père exploitait, par gros temps, les Léonard plient mais ne renoncent pas. Il faut rendre honneur à ce patronyme et ne pas se planter ….
LMdO : Le safran de Cotchia est loin d’être votre première vie …
EL : L’exploitation de mon père était classique : cultures et bétail. Quand je l’ai reprise, j’ai renoncé aux aides européennes de la PAC et surtout par éthique, j’ai refusé de mettre mes terres en jachère, un comble dans un monde où la faim est encore un problème. Et j’ai commencé à cultiver du cassis. Les prix se sont effondrés avec le mur de Berlin et ont été divisés par 10 en quelques mois. Il a fallu repartir de zéro. Nous avons donc commencé la boucherie à la ferme, du producteur au consommateur. C’éatit un concept très novateur à l’époque. Les affaires ont très bien marché mais nous n’avions plus une minute à nous entre la charcuterie, le service traiteur, et même le restaurant à domicile. Et c’est notre jeune fille qui a tout remis en cause le jour où elle a refusé de rentrer à la maison : « Je reste chez mes grands parents, vous c’est boulot ou dodo, jamais rien d’autre ». Il n’en fallait pas plus pour penser à notre troisième carrière. On a tout envisagé, des pompes funèbres à la crèche en passant par un restaurant. Nous nous étions donné quatre années pour trouver.
EL : C’est Véronique Lazérat qui va changer notre destin. Cette jeune horticulteur française du limousin est une des rares professionnelles spécialiste du safran. Profession : safranier ! Mon épouse l’a simplement découverte dans un reportage télé et nous avons senti que notre vie était peut-être là. Nous sommes donc allés en stage chez elle pour apprendre à maîtriser les bases du métier de safranier. De retour, nous avons commandé 1200 bulbes à replanter ici à Wasseiges (région liégeoise) pour un essai. Cette première expérience fut catastrophique car les bulbes ont fleuri au printemps : une belle arnaque puisqu’il s’agissait de crocus à fleurir sans aucun lien avec le safran, des fleurs d’ornement. Pas découragés pour autant, nous avons cette fois racheté 20.000 bulbes directement chez Véronique pour notre première année d’exploitation, c’est à dire pratiquement la taille des plus gros producteurs français de l’époque. L’orage qui est passé sur notre champ en 2011 a tout lessivé … encore une fois, nous avons du repartir à zéro. Nous avons modifié les buttes de culture, replanté 40.000 bulbes et relancé la machine. On ne devient pas safranier si facilement.
LMdO : Vous venez d’évoquer la météo. La Belgique est-elle vraiment adaptée à cette culture ? C’est étonnant de trouver un safranier en plein Condroz ?
EL : Et comment ! On associe souvent le safranier aux pays chauds comme l’Espagne, le Maroc, voire l’Iran. Ce n’est pas faux d’ailleurs mais les conditions de culture sont plus compliquées que chez nous. Dans les pays chauds, la cueillette doit se faire en pleine nuit, sans quoi les fleurs grillent au soleil en journée et les pistils de safran perdent alors leur saveur. Il faut faire vite et surtout ne rien laisser sur le champ, ce serait perdu. Le pistil n’a pas encore pris toute sa longueur à ce moment de la cueillette. Ce sont des fleurs encore fermées qui ne profitent d’ailleurs pas du soleil, elles ne le voient jamais. Le soleil n’apporte rien si ce n’est une pression sur le rythme de récolte dont je me passe bien. Qualitativement, tous ces safrans se valent. Mais nous avons plus de rendement car nos pistils se sont développés au maximum lors de la récolte, ils atteignent jusqu’à 4 centimètres. L’important, c’est le sol et le séchage.
LMdO : Là aussi le soleil est un allié non ?
EL : L’énergie est gratuite, c’est vrai. Mais le séchage au soleil déshydrate la plante jusqu’à 80% et surtout la vide de ses arômes. Notre technique de séchage au four programmé électroniquement les déshydrate tout autant mais comme c’est nettement plus rapide, les arômes sont préservés. Nous sommes donc doublement gagnant : sur la longueur des pistils et sur leur concentration en arôme.
LMdO : Un produit résolument haut de gamme donc ?
EL : Ramené au prix de revient au kilo, c’est une certitude. Notre production a atteint cette année le kilo ! C’est une année exceptionnelle puisque nous avons doublé le chiffre par rapport à l’année dernière. Nos bulbes se sont multipliés et nous récoltons le fruit de notre travail. Il faut manipuler des dizaines de milliers de fleurs pour arriver à ce grammage puisque le rendement oscille de 100 à 200 fleurs au gramme récolté selon le moment de la saison.
LMdO : Et j’imagine que la fraude n’est jamais loin ?
EL : A presque 40.000 euros le kilo, la tentation de tricher est grande. La plus classique consiste à laisser du blanc avec le safran pur. Le pistils est coupé large pour le dire autrement, c’est du poids. Chez nous, vous ne trouverez que du rouge. Et toujours en pistils complets, jamais réduits en poudre, la porte ouverte aux tricheries les plus incroyables : certains capsules ne contiennent pas une molécule de safran mais de la brique pilée, du sable, du tabac coloré.
LMdO : La fleur de crocus sort toute les nuits en saison, vous devez traiter jusqu’à 20.000 fleurs par jour. Comment y parvenez-vous ?
EL : En dormant peu. On récolte le jour, on émonde la nuit. Et surtout on rivalise d’ingéniosité pour trouver du personnel saisonnier pour le coup de feu ingérable à deux. C’est là où nous devons encore faire preuve d’imagination. J’ai fait une demande à l’administration pénitencière pour proposer des contrats d’insertion aux détenus en période de récolte. Le dossier était très avancé mais il a été bloqué à la dernière minute. C’est dommage. Le système des vendanges pourrait être adapté mais il y a des problèmes administratifs auxquels il faut être attentif.
LMdO : Du pistil aux produits dérivés, il n’y avait qu’un pas …
EL : Au départ, je n’en voulais pas ! J’avais assez bourlingué dans la transformation de produits de bouche quand j’étais traiteur et je ne voulais pas y retourner. Sauf que l’intérêt que suscite notre safran auprès d’autres artisans nous a vite amené à revoir la question. La qualité de notre safran en a inspiré plus d’un au point que nos planches (les lignes de safran) sont parrainées par un tas de chefs et d’artisans passionnés par l’excellence. Nous avons élaboré un whisky safrané avec Etienne Bouillon, le macaron au safran a été inventé par Jean-Philippe Darcis, les moutardes Bister sont déclinées au safran de Clothia ainsi que les safranettes, une déclinaison des violettes de la maison Gicopa. Ma tête est pleine d’idées à concrétiser.
Ce que Eric nous apprend de son safran : en art culinaire, le Safran a trois propriétés :
● Le pouvoir colorant : il donne une couleur jaune très appétissante.
● l’arôme : très séduisant, suave.
● la saveur : unique, ce condiment harmonise les saveurs et exalte le goût des aliments.
L’arôme délicat et épicé du safran se développe au séchage, les stigmates frais sont sans odeur.
La paella espagnole, le risotto italien, les potages, les sauces , les poissons, le thé et la bouillabaisse française sont des mets classiques bien connus qui contiennent cette épice. Il en est de même pour de nombreux plats indiens. Il est aussi très prisé en pâtisserie et sublime les fruits. C’est le safran qui donne la belle couleur dorée à la chartreuse, une liqueur fine.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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