Ruffus : le Seigneur des vins belges ! John Leroy, vigneron.
Le succès est fulgurant. La réputation internationale. La disponibilité limitée. Le Seigneur des vins belges est wallon et il se pourrait même qu’il soit le meilleur chardonnay pétillant au monde. En tout cas, le Ruffus se frotte aux plus grands, aux plus prestigieux et sans complexes ! Produire un vin, c’est le travail de plusieurs années. LMdO en a passé une entière à régulièrement visiter le Domaine des Agaises à Haulchin, à quelques encablures de Binche et de la frontière française. Vendanges, tailles, dégorgement, embouteillage et même livraison, nous y étions ! John Leroy est notre guide. C’est que depuis 100 ans, les Leroy « sont dans le vin » comme on dit. Ils sont négociants de pères en fils depuis cinq générations, presque depuis un siècle.
Il y a quelques décennies, le négoce de vin était un véritable travail d’œnologue. Le vin arrivait en vrac et murissait dans les cuveries de ces commerçants pas comme les autres. Filtration, élevage en barriques, tous les gestes chronologiquement postérieurs aux vendanges étaient maîtrisés par ces spécialistes. Ce sont les facilités de transport qui vont changer le métier. Aujourd’hui, à de rares exceptions, le vin arrive en bouteilles et le négoce se réduit à une activité commerciale. C’est de l’ADN des négociants à l’ancienne dont les différentes générations des Leroy se sont nourries. Rencontre !
John Leroy : Sorti de l’école d’œnologie de Montpellier vers 1980, mon père [Raymond Leroy ndlr] s’est investi dans le négoce familial comme son père avant lui. Mais le métier change. L’élevage traditionnel s’essouffle et déjà, à l’époque il a la volonté de planter de la vigne pour faire sa propre production de vin. Ses bons contacts en France lui ont naturellement ouvert les portes de terroirs outre Quièvrain mais les difficultés à gérer un domaine depuis l’étranger l’ont fait reculer. Le jeune œnologue se tourne alors vers un agriculteur du village en lui suggérant de planter des vignes à Haulchin sur un terrain à priori parfait : les Agaises ! Du haut de ses 25 ans, il ne fera pas le poids face aux doutes de l’agriculteur. Ce n’est qu’en 2002 soit 25 ans plus tard, que le fils du propriétaire des Agaises, Etienne, reviendra vers mon père pour lui demander des explications sur cette histoire étrange que l’on raconte dans sa famille. Mon père réitère sa proposition. Thierry Gobillard, grand œnologue et spécialiste des sols de Champagne entre dans la discussion pour son expertise. Il achèvera de les convaincre du bien fondé de leur projet : le terrain est parfait.
LMdO : Et l’aventure commence ?
JL : Elle commence mais les investissement sont importants. De l’ordre de 100.000 euros à l’hectare. Les associés du projet veulent démarrer petit. Un demi hectare suffira pour jauger les potentialités du vin que l’on pourra produire. Thierry Godillard entre dans l’actionnariat mais refuse de faire du jardinage pour reprendre son expression. Il table sur deux hectares à planter immédiatement. En mars 2002, les premiers ceps sont plantés. Les cuves et pressoirs suivront dans les mois suivants. En 2003, ils ne devaient en théorie rien sortir d’une vigne si jeune, mais la canicule leur permettra quand même de récolter le raisin nécessaire à leurs premiers essais.
LMdO : Et ? Verdict ?
JL : Mon père ne se tenait plus. Pensez donc, il connaît tous les sommeliers réputés du royaume. En 2004, il fait donc déguster le vin tranquille, fort en acidité, qui servira à élaborer le vin pétillant : un test pour spécialiste puisque le produit est en cours d’élaboration ! Thierry Gobillard dit qu’il s’en souviendra toute sa vie. Resté en Champagne, mon père lui a fait part des commentaires des sommeliers en direct, au téléphone. Le verdict tombe : « Pourquoi voulez-vous faire pétiller ce vin tranquille, c’est un blanc extraordinaire ? » s’exclame un des convives. Le pari du vin belge est en bonne voie, mais impossible de s’en tenir aux vins tranquilles : avec un champenois dans les actionnaires, il n’a jamais été question de faire autre chose que des bulles ! Mais fort de ces premiers encouragements, l’équipe du vignoble replante immédiatement 2 hectares complémentaires de chardonnay. Le domaine des Agaises atteint actuellement 23 hectares que nous espérons le faire grimper à une bonne trentaine d’hectares.
LMdO : Toutes proportions gardées, c’est donc un petit domaine. Quelles sont ses spécificités ?
JL : Si tu creuses un peu le terrain, tu vas très vite tomber sur de la craie. Le terroir doit être pauvre pour forcer la plante à amener les nutriments dans le fruit et pas dans sa croissance propre. La région regorge de terres agricoles hors du commun mais trop riches pour notre travail. C’est le paradoxe, nous avons besoin de terrains pauvres sans quoi le raisin est de faible qualité. La craie joue son rôle régulateur : elle retient les excédants d’eau qui sont alors disponibles pendant les périodes plus sèches. Le stress imposé à la vigne est donc bien régulé et donne un raisin de qualité exceptionnelle pour la région. La Belgique présente un demi de degré de différence avec la Champagne. Ce demi degré porte les grains à maturité 15 jours plus tard, ce qui est parfait pour notre organisation.
LMdO : Le temps de faire monter la famille Gobillard et du matériel de vendanges ?
JL : Exactement ! Une fois le travail terminé en Champagne, Thierry et Jean-Jean Gobillard montent chez nous. La vendangeuse qui vient de finir son intervention sur les grands crus de Bourgogne est chargée sur un camion et arrive au Domaine en quelques heures. Nous vendangeons 5 à 6 jours vers fin septembre, début octobre. Au début, nous le faisions entièrement à la main mais les résultats sont moins homogènes, raison pour laquelle nous avons changé de méthode. Les pressoirs restent à demeure mais les installations de dégorgement et d’embouteillage sont aussi mobiles. Elles sont amenées de Champagne à Haulchin pour réaliser ces travaux très saisonniers et limités dans le temps. Nous avons 4 à 5 personnes qui veillent en permanence sur nos vignes mais en saison, tout s’anime et l’équipe s’étoffe beaucoup.
LMdO : Parlons un peu de cette success-story. Ruffus rafle les récompenses et les distinctions les unes après les autres. D’où vient cette excellente réputation ?
JL : Le terroir ! C’est 80% de la réussite et de ce point de vue, nos terres sont exceptionnelles. Ensuite, mon père a su s’entourer. Thierry Gobillard est un grand professionnel qui a mis toute son expérience dans le projet. Choix des cépages, choix des clones, plantations, tout est parfait. La famille Delbeke, propriétaire des terrains a su s’adapter à ce nouveau métier en revoyant leurs méthodes de cultures et en les adaptant aux spécificités de la vigne. C’est un virage qu’ils ont parfaitement négocié. Thierry a vinifié seul jusqu’en 2010, date à laquelle je me suis joins à lui. Je lui dois beaucoup même si j’ai appris mon métier chez d’autres vignerons en France, c’est notre druide comme dit souvent mon père. Vendre un vin belge n’avait pourtant rien d’évident. L’accueil des débuts était fort timide, parfois on me plaignait presque de devoir vendre un vin belge qui avait tant de concurrents renommés en France. Aujourd’hui, notre production ne suffit plus à satisfaire les demandes de notre clientèle. Nous devons réduire la promotion que nous en faisions car de toute façon, nous ne pouvons pas satisfaire tout le monde.
LMdO : Avez-vous ouvert la voie à un nouveau type d’agriculture en Belgique ?
JL : On produit du vin dans nos régions depuis la nuit des temps. Avec l’invention de la roue et la naissance des routes, les anciens se sont rendu compte que les vins du nord étaient de piètre qualité et qu’il valait mieux les importer. La vigne a perdu de son attrait et le vin a commencé à être massivement importé.
Depuis quelques années, le succès de Ruffus fait un peu office d’émulation et a changé la donne. Notre succès, je le répète, tient au terroir. Je peux vous dire que l’on a cherché, des terrains comme le nôtre ailleurs en Belgique, c’est très très rare. Le prix de la main d’œuvre, les accises étant ce qu’ils sont en Belgique, produire un vin reste une démarche onéreuse. Si la qualité n’est pas au rendez-vous, vous aurez toutes les peines à sortir du lot. Pour tout dire, si nous avons un peu rouvert la voie, je crains que nous nous n’entraînions dans notre sillage des produits de moindre qualité qui risquent de porter préjudice à la filière car le terroir est très limité. Il existe de bons vins tranquilles en Flandre notamment, mais je ne crois pas que la vigne en Belgique contribuera au renouveau de l’agriculture. Les terrains sont trop riches. J’espère que les politiciens le comprendront avant de lancer les agriculteurs tête baissée dans les difficultés de ce métier complexe.
LMdO : Parle nous de ton métier justement. Est-ce un métier stressant ? Es-tu vigneron 24 heures sur 24 ?
JL : C’est paradoxal car il n’y a pas mieux que de se promener dans ses vignes pour en prendre soin. C’est le rêve de beaucoup de gens et je le vis tous les jours. Par contre, les aléas climatiques sont de vrais facteurs de stress. Le gel, la grêle, les orages sont nos ennemis. Ils occasionnent des pertes qui limitent les récoltes et peuvent même les anéantir. Nous avons déjà du allumer des feux autour du vignoble pour contrer le gel. Les grands terroirs qui ont du stock peuvent amortir les variations de production d’une année à l’autre. Chez nous, tout est vendu. Nous devons gérer les quotas qui sont livrés, les pondérer pour chaque client. Parfois ils sont frustrés voire irrités quand nous ne pouvons pas honorer les commandes. Nous jonglons avec ça et c’est aussi un vrai stress. Je ne vinifie qu’une fois par an. Un brasseur sort autant de brassins qu’il veut et peut même expérimenter des recettes. Chez nous, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Une cuve qui monte en température de 1 ou 2 degrés risque de compromettre la saison. Tous ces paramètres sont très délicats à gérer et demande une attention continue. Heureusement, nos nouvelles installations ultra-modernes sont bien monitorées, cela me facilite un peu la vie.
LMdO : Comment vois-tu l’avenir ?
JL : Nous allons porter le Domaine au maximum de ses capacités de production en plantant encore ce qui peut l’être. Les bonnes années, notre production de 200.000 bouteilles devrait donc culminer à 250 ou 300.000 unités. Sur la qualité, je suis tranquille. Le sol est bon et le réchauffement climatique joue en notre faveur. Les vignobles de qualité commencent à fleurir beaucoup plus au nord que ce que l’on a connu jusqu’ici.
LMdO : Et ton père, il se fait plus discret chez Ruffus avec le temps?
JL : C’est un entrepreneur dans l’âme. Il ne dort que très peu la nuit tellement il a des projets en tête. Ruffus est sa plus grande fierté qu’il est loin de perdre de vue, mais comme le vignoble est sur la bonne voie alors il planche sur de nouveaux projets. Ce sera dans l’éolien ou le sel et probablement à l’autre bout de la planète.
Distillerie de Biercée : Talking With Spirit, une autre très grande maison spécialisée dans les spiritueux.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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