Jarres à la corde de la Triskel : potier à l’ancienne.
On a beau croire tout connaître et avoir tout vu, il reste des artisans hors norme qui fabriquent des choses de façon vraiment étonnante. Christian Lefèvre exerce comme potier à Genval dans les anciennes papeteries, reconverties pour l’heure en atelier de poterie. Rien de spécial jusque là, de la terre, des tours, des fours.
Ce qui surprend, c’est la présence massive de cordes en chanvre. Comme si un hypothétique cargo fantôme avait accosté au milieu de l’atelier.
Nous allons découvrir une discipline qui remonte au minimum au 15ème siècle et qui a bien failli disparaître complètement : la fabrication de Jarres à la corde de la Triskel. Visite guidée chez le potier.
Christian Lefèvre : Mon cursus d’informaticien ne me préparait pas du tout à faire de l’artisanat. Un été, mon épouse a du effectuer une mission à l’étranger pendant quelques semaines au beau milieu de mes congés, je ne savais pas quoi faire, j’ai ouvert un journal et je suis tombé sur des propositions de stages de poterie. Je me suis inscrit et, ce qui au départ n’était que du loisir créatif allait changer ma vie. J’ai appris les rudiments du métier sur le tas, je me suis perfectionné chez quelques potiers français de renom et puis j’ai mené ma double vie d’informaticien et de potier. De façon classique je dirais.
C’est à Aix-Les-Bains que j’ai rencontré par hasard le potier Gilles Durand qui faisait une démonstration de jarre à la corde sur la place publique. Je suis resté figé devant lui pendant toute la fabrication, j’étais sidéré par la technique employée.
LMdO : Expliquez-nous ça !
CL : Cette technique permet de monter des poteries de belles dimensions en une seule pièce, sans couture. On utilise une armature démontable en bois que l’on vient entourer d’une corde en chanvre de gros diamètre. Une fois la corde complètement placée, on y plaque la terre qui est contrainte par le gabarit extérieur aux formes de la jarre. Après démontage de la structure interne et le séchage partiel de la terre, j’enlève la corde. Le pot est alors prêt pour passer au four une première fois à 1260 degrés pour vitrifier la terre et la rendre parfaitement résistante au gel. C’est le biscuit. Ensuite, je réalise l’émaillage et la seconde cuisson. A l’arrivée, j’obtiens des pièces uniques dont j’ai dessiné à ce jour trois profils différents. La technique est parfaite pour fabriquer de grandes pièces, seule la capacité du four contraint le potier à rester dans des dimensions précises. Les meilleurs potiers à la corde fabriquent des pièces énormes. Gilbert Serres par exemple réalise des pièces de 3 à 4 mètres de haut. Ce qui m’intéresse, c’est notamment la trace laissée à l’intérieur de la poterie par la corde.
LMdO : La trace que vous lissiez au début ?
CL : Exactement ! Je m’évertuais à la faire disparaître pour obtenir une pièce parfaite à l’intérieur comme à l’extérieur, jusqu’au jour où un client a mis en doute la technique utilisée au prétexte que la trace de corde était absente. J’ai alors compris qu’elle contribuait largement à l’identité de mes pièces et depuis, je n’y touche plus.
LMdO : A t’on une idée de l’origine de cette technique ?
CL : J’ai retrouvé une gravure de 1421 où l’on voit clairement un potier occupé à monter une jarre à la corde. Mais peut-être est-ce encore plus ancien ? L’énigme est complexe car des fragments retrouvés en mer portent des traces qui pourraient être laissées par des cordes mais ce n’est qu’une hypothèse, d’autres techniques de montage laissent aussi des empruntes à l’intérieur des pots. Les magnifiques pots d’Anduze dans le sud de la France étaient encore fabriqués à la corde il y a une vingtaine d’années. Une petite série est encore faite avec cette technique mais ça tend à disparaître au profit de la mécanisation. Nous sommes une poignée à encore maîtriser la technique. Ce qui me plait, c’est le mélange des textures entre le côté rugueux de la corde et la douceur de la terre. Les matériaux se répondent et interagissent. La corde joue les régulateurs d’humidité avec la terre. Elle absorbe quand il le faut, elle hydrate à d’autres moments. On ne pourrait pas faire ce travail avec une corde synthétique. Les odeurs aussi sont assez intéressantes et bien sur, la pérennité du geste me motive beaucoup.
LMdO : C’est difficile pour vous de vous séparer de vos pièces ?
CL : L’émaillage et son côté très aléatoire participent à la magie de la révélation des pièces. Ouvrir le four reste un moment intense, teinté d’impatience, d’angoisse, d’émerveillement, parfois de déception, jamais anodin ou banal. L’émail crée une décor qui change en fonction de l’origine de la terre utilisée pour le pot, de l’épaisseur de la couche d’émail liquide, du temps de cuisson et de la température du four. Alors oui, quand une pièce est particulièrement réussie, j’ai du mal à m’en séparer car la recette n’est pas inscrite dans le marbre. Je fais un dossier complet sur chaque pièce que j’archive pour avoir un historique complet de ma production. Malgré la précision de mes notes et les images que je prends des jarres, je ne suis jamais certain de pouvoir les refaire à l’identique. C’est un art vivant qui ne se laisse pas facilement dompter, c’est sans doute cela qui me plait.
La Triskel - Jarres à la corde : le site web.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
2 Comments
J’en apprends tous les jours. Merci Patrice !
merci m’sieur …