Le Moulin à vent de Moulbaix …
Même les moulins ont leur langage et le moulin à vent de la Marquise à Moulbaix n’y échappe pas. Son meunier m’explique qu’ainsi, par tradition, les ailes arrêtées en croix de saint André (en quartier) signalaient un heureux événement chez le meunier, que le moulin était au repos, ou le retour au calme dans un conflit militaire. Les ailes en croix grecque (en bout de pied) signalaient que le moulin était prêt à travailler ou appelaient au rassemblement alors que inclinées à gauche, position « venante », elles annoncent un heureux événement comme un mariage ou une naissance, ou alertaient d’un danger militaire.
Depuis quelques mois, celles de Moulbaix étaient inclinées à droite, annonçant un deuil chez le meunier. Une année difficile pour Joseph, meunier Moulbaisien qui est à la manœuvre de ce monument classé.
Électrifié dans les années 50 par le père de Joseph, depuis quelques mois le moulin ne tournait plus qu’à la force des électrons. Le cœur n’y était pas. Et puis, lors de ma dernière visite, j’appelle Joseph pour lui demander de me consacrer un peu de temps pour l’interview qui accompagnera mon reportage photo. Une heure plus tard, je me gare à proximité du monument, les ailes du moulin à vent de la Marquise à Moulbaix tournent au vent : instant magique … : merci Joseph
C’est que depuis 1747, bien des générations de meuniers se sont succédé au chevet du moulin de Moulbaix. C’est un certain Mercier qui est à l’initiative de la construction du moulin. Un an plus tard, il n’avait toujours pas les autorisations pour faire tourner le moulin, les meuniers voisins s’étant ligués contre ce concurrent supplémentaire. C’est le marquis du Chasteler qui en deviendra alors propriétaire et qui profitera de sa position de notable pour obtenir les autorisations nécessaires à son fonctionnement mais seulement en 1752. En 1936, le dernier descendant Chasteler a légué le château de Moulbaix et son moulin à la famille d’Ursel qui a occupé le domaine jusqu’en 2005.
C’est en 2003 que le moulin a été donné à la ville pour pouvoir entamer de gros travaux de restauration sur le bâtiment classé depuis 1944.
LMdO : Joseph, comment devient-on meunier dans un moulin à vent de nos jours ?
Joseph Dhaenens : L’histoire ne date pas d’hier. C’est mon père Josef qui a débarqué de sa Flandre natale en 1941 pour relancer le moulin en 1942. Sa première tache a été de monter des moteurs électriques pour pouvoir tourner sans les ailes. Néanmoins, il mettait un point d’honneur à tourner aux ailes aussi souvent que possible, par passion. Son père lui a transmis le virus depuis Zwijvegem où il était lui même meunier.
LMdO : Et le petit Joseph de l’époque a aussi été touché par le virus ?
JD : Je vis depuis toujours au pied du moulin. Mon père a fait construire sa maison au plus près pour pouvoir avoir un œil sur l’ouvrage. Fatalement, ma vie a toujours été rythmée par le moulin. Je peux donc imaginer que inconsciemment, le moulin a pris une place énorme dans ma vie dès ma plus tendre enfance. Aussi loin que je puisse m’en souvenir, il m’a toujours accompagné. C’est peut-être pour cela que je le fais tourner aussi souvent que possible.
LMdO : Tous les jours donc ?
JD : Peut-être pas mais si vous passez en semaine vous avez une bonne probabilité de m’y trouver.
LMdO : On est meunier 24h sur 24 ?
JD : Disons qu’un moulin à vent nécessite quelques précautions pour éviter les incidents. Il faut toujours l’arrêter face au vent, surveiller les orages. On a souvent le nez pointé vers le ciel pour observer la météo et c’est vrai qu’instinctivement, je jette un œil en l’air quand je me couche et dès que je me lève le matin. Ce n’est pas pour rien que mon père a bâti sa maison à quelques mètres du moulin.
LMdO : C’est la recette pour durer ?
JD : Le moulin de Moulbaix fait quand même exception. Il a traversé l’histoire sans trop d’encombres et c’est exceptionnel. Pensez donc aux guerres, aux révolutions qu’elles soient sociales ou industrielles, rien ne prédestine un outil à une longévité si importante. Il a fallu une série de conjonctions pour y arriver : la ténacité de mon père et l’amour de son moulin, le prestige du château, un peu de chance et la grande campagne de rénovation des années 2000 qui a permis de restaurer le moulin complètement. Le rhabillage des pierres est la seule maintenance annuelle qui soit encore lourde à mener, mais c’est l’usure naturelle des meules qui l’exige. C’est la preuve que le moulin tourne.
LMdO : Quelle est la spécificité de la farine qui sort de vos meules ?
JD : Les tonnages annuels n’ont aucun rapport avec un moulin industriel puisque je ne produis que quelques centaines de kilos par jour. C’est donc un produit de niche. Les grains me sont confiés en petites quantités par de petits exploitants ou des particuliers qui cherchent un produit de qualité. A la pierre, on ne peut pas produire de farine blanche. Elle contient donc un peu de son qui la rend un peu grise. Les industriels ne sont pas à même de cuire ce genre de farine dont seul un artisan boulanger peut tirer pleinement profit car le produit n’est pas stable : chaque lot produit sa farine qui réagira différemment dans le pétrin : les industriels détestent cela et fixent leurs farines avec une série de produits annexes pour stabiliser la fabrication du pain. Chez nous, rien de tout cela n’existe évidemment.
LMdO : Est-ce physiquement dur ?
JD : Les manipulations de sacs restent délicates à long terme … le dos peut en prendre un coup mais ces machines sont étudiées pour faciliter la vie du meunier autant que possible et je dois dire que les concepteurs de moulins y arrivaient plutôt bien il y a déjà 250 ans. Une roue à godets entraîne le grain vers le haut du moulin pour passer dans les meules. Ensuite, la farine récupérée tombe dans de grands sacs qu’il suffisait de descendre au crochet toujours avec l’aide des systèmes de levage du moulin. Même les pierres sont manipulées du bout des doigts malgré leur poids conséquent : un ingénieux système de poulies me permet de régler le moulin au millimètre près et d’obtenir la mouture désirée.
LMdO : Comment voyez-vous l’avenir du moulin ?
JD : La restauration a été très bénéfique. Le monument a des beaux jours devant lui. Reste qu’il va falloir pérenniser le savoir faire et qu’il ne sera pas facile de trouver un meunier prêt à tous les sacrifices qu’impose un moulin à vent. Il faut bien en connaître la mécanique, la respecter. Il faut être un peu météorologue pour anticiper les réactions du moulin. Il faut être patient, aimer travailler seul. Il faut être à l’écoute de son moulin. Qui sait, quand notre magnifique château aura trouvé repreneur, la dynamique fera peut-être le reste : Moulbaix est un village merveilleux qu’on ne peut dissocier de son moulin et de son château …
LMdO visite le moulin à eau de Hollange
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
5 Comments
Très intéressant !
Je me demande où tu déniches toutes tes sources de reportages.
Eric
Je me fais la réflexion bien souvent : on est entourés de gens talentueux mais souvent peu visibles … faut juste lever un coin du voile et ils te tombent dans les bras … merci pour le comm …
Toujours aussi fantastique Patrice, je suis toujours aussi fan !
merci de nous faire partager à travers tes réalisations des gens aussi passionnés et passionnants.
Merci Béné 🙂
Superbe reportage et l’interview RTBF est une excellente amorce.