Les métiers nomades restent assez atypiques dans mon esprit. Après avoir accompagné Adrien, batelier de son état, je passe à la vitesse supérieure en m’attaquant aux navires les plus extravagants qui soient. Je remercie chaleureusement le Commandant Delran pour la confiance qu’il m’a accordée. Un navire est accidentogène mais, en prenant quelques précautions d’usage, j’ai pu tout voir, tout approcher. Et beaucoup parler. J’ai découvert des métiers d’une rare complexité, d’une grande exigence et de beaucoup de sacrifices. Fier d’être marin !
Le Havre (France), Rotterdam (Hollande), Hambourg (Allemagne), Anvers (Belgique), Le Havre (France)
Pendant 10 jours, j’ai embarqué sur le porte-containers Amerigo Vespucci de la compagnie française CMA-CGM. Après avoir suivi à la trace le navire sur Marine Traffic Global, nous embarquons dans le port du Havre à temps et à heure. Le chargement s’est fait en Asie, principalement en Chine. Après six semaines de mer, le navire s’apprête à livrer sa précieuse cargaison en Europe. C’est cette tournée qui fait l’objet de notre voyage juste avant le retour vers les mers du sud, un voyage qui ne s’arrête jamais.
Monter à bord d’un navire de cette taille était pour moi un rêve. Un cargo de ce gabarit est un moyen de transport de tous les superlatifs : énorme, gigantesque, démesuré … il y a la choix. Il est surtout le reflet du monde dans lequel on vit : production et livraison. Mais ce n’est pas ce que j’ai retenu de plus important de cette fantastique expérience : c’est le travail des Hommes qui m’intéresse. J’ai eu le privilège de pouvoir m’imprégner du mode de vie à bord et de l’organisation d’un navire de commerce. L’expérience n’est pas complète, il reste beaucoup de zones d’ombres tant la marche d’un vaisseau de cette taille est complexe. L’interface avec la terre prend une importance énorme : pilotes, dockers, gestion de la flotte, ballet des containers … ce qui se passe en coulisse est fondamental. Reste que pouvoir m’imprégner de ce monde complexe et un peu caché a été une expérience que j’invite tout le monde à faire, enfin presque …
Les questions bateaux :
L’Amerigo Vespucci est un porte-containers de la compagnie française CMA-CGM battant pavillon français. Livré en 2010, le vaisseau a été fabriqué par Daewoo en Corée du Sud. Long de 365m et large de 51m, il est capable de transporter 14.000 containers de 20 pieds (EVP – Equivalent Vingt Pieds). Sa vitesse de croisière maximale avoisine le 20 nœuds (un peu moins de 40km/h).
La consommation est estimée à 200 tonnes de carburant avalées chaque jour par le moteur de 110.000 chevaux. Certes, les chiffres sont impressionnants mais ramenés aux 150 à 200.000 tonnes de l’ensemble, le monstre ne consomme qu’une tonne de carburant par jour pour 1000 tonnes transportées. Un rapport de un à mille dont on rêverait sur nos voitures par exemple. Imaginez ne consommer qu’un litre de carburant pour une journée complète de voyage ? Pas mal non ? Reste qu’un matelot m’a affirmé, non sans une certaine ironie, que le bateau était comparable à un camion avec un moteur de mobylette sans frein, une question de proportions encore … Le plein avoisine les 6000 tonnes et la facture engloutit presque 3 millions de dollars à elle toute seule. Nous assisterons au remplissage des cuves à Rotterdam où une barge tanker viendra nous ravitailler. L’opération dure des heures sous haute surveillance. La consommation reste la préoccupation principale : plus elle est faible plus rentable est le bateau. La vitesse de navigation a donc été volontairement un peu réduite pour diminuer la consommation et les hélices adaptées avec de nouvelles formes.
Lancé à pleine machine, un monstre de cette taille met plus ou moins 40 minutes pour être immobilisé. C’est dire que la bonne marche des opérations passe avant tout par l’observation et l’anticipation. Les codes maritimes en vigueur donnent une certaine priorité à ce genre de bâtiment mais à la passerelle, la vigilance est constante : de jour comme de nuit radars et GPS aident la passerelle à y voir clair et à se frayer un chemin. A bord tous les équipements sont doublés et l’officier de quart est secondé par un observateur à la jumelle. En Europe les règles sont strictement appliquées par tous les acteurs présents sur les mers. On se signale, on se parle et on se coordonne. La marche est plus sensible dans d’autres parties du globe où les petits pêcheurs par exemple n’ont pas de transpondeurs à bord pour signaler leur position. Perchés à 60m de hauteur, à la passerelle, un tel bateau est presque invisible pour les marins à la barre. Les coups de cornes de brume rythment donc beaucoup plus ces voyages là.
Ce qui étonne :
Finalement sur un outil de travail aussi complexe, ce qui surprend vraiment, c’est la moyenne d’âge de l’équipage. Si le commandant campe sur sa solide expérience d’une vingtaine d’années en mer, il est secondé par un personnel à la fois relativement réduit (30 personnes) et surtout fort jeune. La plupart de ces jeunes recrues sont des officiers dont le rôle est loin d’être secondaire. Sécurité, navigation, machine, intendance, gestion de la cargaison, des équipes … ces hommes sont de véritables couteaux suisses dont l’isolement en mer les oblige à devoir intervenir sur tous les cas de figures même les plus improbables.
La cohésion du groupe est d’ailleurs d’une importance capitale et un des rôles principaux du commandant. Une main de fer dans un gant de velours qui prend le pouls permanent du navire : celui des hommes et des machines. Le terrien que je suis n’imaginait d’ailleurs pas à quel point on s’active en mer. L’usine que représente la salle machine est le cœur de la bête. On veille en permanence dessus et les marins sont capables d’intervenir à pratiquement tous les niveaux pour en assurer la bonne marche. Les communications avec la terre sont aussi devenues importantes au point d’en avoir changé le métier.
Jusqu’à une époque pas si lointaine, un navire quittait un port et réapparaissait quelques temps plus tard. Une fois à quai, le commandant rendait compte mais ne se justifiait que rarement. Seul maître à bord après dieu, ses décisions ne souffraient que de peu de discussions puisque de toute façon il était trop tard pour revenir dessus. Les satellites ont tout changé. La mondialisation aussi. Une tournée européenne, ce sont des sauts de puce à l’échelle du globe mais c’est surtout une stratégie constante pour ne pas perdre d’argent. Les places disponibles à quai, les marées, la cargaison, les immobilisations au mouillage du bateau, tout est calculé à terre pour rentabiliser au maximum les opérations commerciales de chacun des 500 navires de la compagnie française. Une armée d’employés de la compagnie gère cette fourmilière à terre, principalement à Marseille dans la tour de CMA-CGM. Et visiblement, il faut savoir s’adapter : pas d’horaire, pas de routine, sur un cargo c’est la marchandise qui commande.
Ce qu’il faut savoir pour voyager à bord d’un cargo :
Voyager en cargo, c’est facile. Il suffit de s’adresser à une agence de voyage spécialisée comme Mer et Voyages à Paris avec laquelle nous avons organisé ce voyage. Les possibilités sont infinies, d’un simple voyage de quelques jours à un tour du monde de plusieurs mois. Pour un premier voyage, l’agence conseille plutôt un trajet de courte durée car, à bord, vous êtes priés de vous prendre en charge. Le couvert vous est servi trois fois par jour mais le reste de votre occupation vous incombe. Il vaut mieux être adepte de lecture, d’écriture, d’art voire de méditation car vous ne trouverez rien à bord pour vous divertir. On est très loin du concept des croisières pour passagers.
En 2018, les communications à bord restent très limitées et exclusivement réservées aux contacts avec la terre et aux urgences médicales. Si vous êtes un accro d’internet, oubliez immédiatement votre vie connectée, vous la laisserez à quai. Dans un cargo, l’homme le plus important après dieu et le commandant, c’est le cuisinier. Sur un pavillon français, on ne badine pas avec les traditions : deux fois par jour, vous aurez droit aux entrées, plats, desserts et fromages du chef. Et vous ne mourrez pas de faim, c’est une certitude. Privilège des passagers, nous sommes les seuls à avoir accès au vin du navire. On ne tergiverse plus avec l’alcool sur les navires, c’est aussi une époque révolue.
Les ports sont devenus des lieux ultra sécurisés dans lesquels on ne se promène plus. Le ballet des containers est tel qu’il y est strictement interdit de s’y déplacer autrement qu’en navette et en étant accrédités. Pendant les escales, il est possible de sortir du navire pour visiter la ville portuaire. Il faut cependant avoir en tête que les ports sont distants parfois de plusieurs dizaines de kilomètres des villes. Les taxis ne maîtrisent d’ailleurs pas toujours les complications routières des ports et s’y perdre n’est pas rare. Le bateau ne vous attendra pas ! Si vous êtes en retard, vous resterez à quai même à l’autre bout de la planète.
Historiquement, chaque navire possède une série de cabines passagers qui à l’origine étaient destinées à l’armateur. Les navires sont tellement grands que réserver une coursive aux invités ne pose pas de problème. C’est pourquoi certaines compagnies acceptent encore des passagers. Jamais plus de 12 à la fois sinon il faut un médecin à bord. En l’absence de médecin, c’est le commandant qui règle les bobos en coordination avec une équipe médicale spécialisée à terre et accessible 24 heures sur 24.
LES METIERS !
Les hommes : Emmanuel, le commandant.
Ce jurassien d’origine n’était pas vraiment prédestiné à la mer. Ce sont plutôt les airs qui l’attiraient puisque c’est pilote de chasse qu’il se préparait à devenir. Déjà l’attrait des machines complexes. C’est un professeur de l’Hydro (L’École nationale supérieure maritime) qui va le convaincre de passer le concours, un amoureux de la mer qui avait visiblement le sens de la transmission. Une fois son brevet en poche, le jeune officier postule chez CMA. L’entretien se passe au mieux et en 1995, Emmanuel embarque sur un navire de la compagnie comme élève officier. Il ne l’a plus quittée depuis et a gravi tous les échelons.
Question rythme, ce qui plait à Emmanuel, c’est qu’il n’y a pas de journée type à bord d’un navire. Surtout en dehors de grande traversée où l’activité à bord est intense : manœuvre, intendance, pilotes, management, douane, administration, il y a toujours un dossier à traiter. « Si j’ai le bonheur de me lever par moi même, ma journée commence vers 07.30, je retrouve le second mécanicien au café pour faire le point sur la marche du navire à la passerelle. C’est informel mais c’est un moment important pour l’organisation de la journée. A 08.00, les chefs de services redescendent à l’embauche et je fais le tour de tout le bateau. Je visite tout les emménagements et je vais voir le chef, en cuisine. »
« Vient ensuite une visite au Ship Office, au niveau du pont pour discuter de ce qui va être fait dans la journée. Chaque chef de service est autonome et me rend compte. Je n’aime pas diriger de manière autoritaire. J’ai affaire à des professionnels qui maîtrisent leur sujet et c’est mauvais signe si je dois imposer quelque chose. »
Fier d’être marin ? La question le surprend ! Dans son esprit, elle sous entend que certains métiers seraient supérieurs à d’autres ce qu’il ne croit pas. Passionné d’être marin oui, car ce métier est trop dur pour ne pas le vivre comme une passion. Emmanuel m’évoque alors les heures passées à la manœuvre, l’éloignement. « Si un jour je ne suis plus passionné, j’arrêterai. » On évoque la famille, les deux enfants et l’épouse restés à terre. « Avec les systèmes de communication, on se parle beaucoup. Ce n’est pas vraiment une rupture, c’est un voile sur nos relations que l’on retire avec plaisir quand on se retrouve. Mon fils dit qu’il veut devenir marin, c’est que le choses ne se passent pas si mal ».
Les hommes : José le cuisinier.
Depuis 30 ans, José sillonne les mers derrière ses casseroles. Il en a vu des bateaux, des marins et des ports. D’emblée, il tord le cou à une légende bien installée dans l’esprit des gens : « Une femme dans chaque port ? La bonne blague, sur le dernier voyage qui a duré 4 mois, je suis descendu 10 minutes à terre pour contrôler les camions frigorifiques de livraison ». C’est que le rôle du cuisinier est primordial. En cuisine, José et ses deux aides sont seuls pour nourrir impérativement trois fois par jour, sept jours sur sept la totalité de l’équipage. Ce sont plus ou moins 60 à 70 repas à fournir chaque jour : entrée, plat principal, dessert et fromage. Originaire de Brest, marins et cuisiniers ont toujours fait bon ménage dans la famille Le Hir. Un oncle commandant, un père responsable de phares, une grand-mère restauratrice. Il n’en fallait pas moins pour que le jeune homme de 19 ans à l’époque ne fasse de la cuisine et des bateaux sa vie.
La gestion d’une cuisine à bord d’un navire marchand ne souffre pas d’approximation. Il faut tenir dans les grandes traversées et ne manquer de rien. Les précautions sanitaires sont encore plus importantes qu’ailleurs, on imagine mal un équipage complet atteint d’une intoxication alimentaire. On ne se fournit donc que chez des prestataires au dessus de tous soupçons et en quantités suffisantes. La compagnie impose d’ailleurs des règles strictes sur la provenance des produits sensibles comme le lait et les œufs par exemple. Ensuite il faut gérer ! Les produits frais sont consommés en premier lieu. Les congélateurs aident beaucoup et solutionnent les contingences pendant les longues traversées. Fier d’être marin ? Pragmatique, José me répond que les salaires à bord justifient largement les contraintes liées à la mer.
Les hommes : Gilles le second capitaine.
C’est un voyage scolaire vers l’Angleterre qui va sceller le destin de Gilles. Lors de la traversée en ferry, la visite de la passerelle l’émerveille au point que sa décision est prise, il sera marin. Manœuvrer ces masses sur les océans sera son métier c’est décidé. Sauf que personne n’est marin dans la famille et que la conseillère d’orientation le lui déconseille vivement. Une année durant à la fac, il laisse ses rêves au placard jusqu’à ce qu’il se décide à passer le concours de L’École nationale supérieure maritime et à le réussir. A l’école, la recette est aussi simple que radicale : on embarque très rapidement en tant qu’officier élève pour vérifier que l’on est taillé pour le métier. Gilles n’abandonnera pas, au contraire! Le rafiot sur lequel il embarque est dans un tel état que ce premier contact se transforme en aventure.
Fier d’être marin avant tout, Gilles ne se formalise pas avec les titres et les grades. De son expérience de commandant sur pétrolier, il remonte à bord après un passage à terre aussi rapide que douloureux. Sa vie est en mer et pas dans les bureaux. Il décide donc de rembarquer comme second chez CGM-CMA pour se refaire la main. Depuis lors, il commande le Mozart, un navire en tout point comparable à l’Amerigo Vespucci. C’est que le spécialiste français du container essaie de standardiser sa flotte pour assurer une flexibilité maximale de son personnel. Cette flexibilité est telle que la compagnie est une des rares au monde en employer un personnel en grande majorité multitâche. Les officiers du bateau sont pour la plupart formés pour la barre et pour la machine. Cette grande expertise permet à chacun d’évaluer au mieux les conséquences de ses actes sur l’activité des autres.
Ce que Gilles aime dans son métier : la sensation de maîtriser des forces extraordinaires surtout lors des manœuvres. Il apprécie aussi la liberté qui est la sienne à bord même si un navire est une grande prison qui flotte comme il aime à le rappeler.
Ce que Gilles déteste dans son métier ce sont les veilles de départ où il doit quitter son île paradisiaque de Tahiti pour reprendre la mer et laisser celle qu’il aime à terre. Il y laisse aussi ses états d’âme parfois en contradiction avec ce métier qu’il aime tant. Il n’est pas très fier de son bilan carbone occasionné par les longs voyages en avion nécessaires à l’exercice de son métier et les émissions des navires qu’il commande. Les projets de nouvelles motorisations lancés par les bureaux d’étude l’intéressent au plus au point puisqu’une nouvelle génération de navires propulsés au gaz est annoncée. Une génération résolument moins polluante.
Les hommes : François chef mécanicien.
Tout le monde est marin chez les Jacq, originaires de Bretagne. François n’imaginait pas faire autre chose. Biberonné à tout ce qui flotte, le jeune matelot se retrouve à l’École nationale supérieure maritime qui forme les futurs officiers (l’Hydro pour les initiés). Il y apprend la machine et obtient son brevet de chef en 2014.
Dans les entrailles du navire, le moteur Wartsila est une véritable usine. Le navire y est propulsé, on y fabrique l’électricité, on y traite le carburant et toute une série d’équipements annexes contribuent à la bonne marche du navire. Les dimensions sont extravagantes et le bruit assourdissant. Il arrive que la température y grimpe à des valeurs où travailler devient pénible voire impossible : 50 degrés dans les mers chaudes, ce n’est pas rare. La position basse et centrale de la machine est moins sujette au mouvement mais quand la mer est mauvaise il faut parfois tout arrimer et attendre des eaux plus calmes pour se remettre à travailler. L’absence totale de hublot contribue aussi à la particularité de ce travail et à sa déconnexion avec le monde extérieur. Dix personnes veillent en permanence sur l’engin.
A 07.00 du matin toute l’équipe se met en branle avec un passage à la passerelle pour prendre des nouvelles avec le commandant et le reste de l’équipage. Après le café et le court contact avec le monde extérieur, l’équipe retourne en salle machine pour vaquer à ses occupations : les groupes électriques, la propulsion, le séparateur (traitement du carburant), la fabrication de l’énergie. Le programme est établi pour la journée.
Un navire de cette taille ne s’arrête jamais pour pallier à un problème technique. En cas de nécessité, on isole une partie du moteur et on intervient directement dessus. Par exemple, toutes les 30.000 heures, les pistons sont changés préventivement. Il faut 8 à 12 heures pour y parvenir, temps pendant lequel le moteur tournera sur 13 de ses 14 cylindres.
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LA CARGAISON !
La cargaison c’est la raison d’exister de ces navires. Il n’y pas si longtemps, charger un navire prenait des jours, voire des semaines.
« Hormis quelques expériences préalables qui ne furent pas généralisées, le principe du conteneur a été inventé en 1956 par Malcom McLean, un transporteur routier américain, qui trouvait que le transbordement en vrac des marchandises était trop long. Confronté avec sa société McLean Trucking Co à la saturation des transports sur la côte est des États-Unis, il adapte quatre navires pour transporter des remorques de camions par voie maritime, en chargeant directement le camion et sa remorque sur le bateau. Face au succès de cette expérience, il décide de désolidariser « la caisse » contenant les marchandises du châssis de la remorque, donnant naissance au « conteneur ». Son invention restera toutefois confinée à la côte est des États-Unis pendant dix ans, puis franchira l’Atlantique en 1966 et connaîtra ensuite une croissance fulgurante. Mais il faudra la guerre du Viêt-Nam, qui obligeait l’armée américaine à déplacer des masses importantes de marchandises d’Amérique en Asie, pour que la demande devienne assez importante et que son invention se généralise, et même le début des années 1980 pour que le standard de McLean soit utilisé à l’échelle mondiale. » source Wikipédia.
Comprendre le ballet des containers est fascinant. Un Tetris géant composé de 14.000 modules qu’il faut organiser. Le rôle du « planner » est primordial. A terre, un employé organise la cargaison en fonction à la fois des caractéristiques des produits transportés et des ports de déchargement. Les plannings changent régulièrement et chaque cargaison à destination d’un port doit être isolée des autres pour éviter des manœuvres de portiques inutiles coûteuses en argent et en temps (le restow).
Le fichier transmis est intégré au calculateur de chargement du bateau, une interface informatique qui tient compte des masses en présence. Chaque passage à quai déclenche un ballet de déchargement et de rechargement. Par exemple à Hambourg, l’Amerigo Vespucci a chargé un total de 1400 boîtes. C’est moins que prévu à la base mais il fallait absolument repartir à marée haute. Le planner a donc effectué des choix sur la cargaison à embarquer en reportant les boîtes laissées pour compte sur un autre navire.
Sur ces 1400 boîtes, 40 contenaient des produits dangereux. On évite par exemple de faire cohabiter un container de feux d’artifice avec un container de briquets, une simple question de bon sens. 400 reefers ont été embarqués : les reefers sont les boîtes frigorifiques capables de maintenir des températures constantes allant de la congélation à des températures positives mais régulées. Les bananes par exemple sont transportées exactement à 13°. Le thon voyage quant à lui à -60°. Ce sont des chargements précieux et très surveillés par les clients (géolocalisation et prises de températures constantes envoyées par satellite). En général c’est de la nourriture ou des médicaments qui sont transportés dans ces boîtes.
Dans la salle des machines, une immense salle technique contient les groupes électriques qui alimentent les boîtes sur le pont. Deux techniciens à bord ne font que surveiller ce chargement et interviennent directement sur les boîtes pour les garder en état de marche coûte que coûte. Quelques Out Of Gauge (hors gabarit) peuvent encore venir compléter un chargement. La base reste un plancher 40 pieds mais le colis transporté dépasse du gabarit de référence. Des experts en arrimage viennent sécuriser la charge à bord et le colis sera fort surveillé pendant la traversée. Bien souvent ce type de marchandise est embarqué à partir d’une barge qui vient se coller au navire avec une grue de chargement classique.
Quand tout le plan de chargement est validé par le navire et le planner, il est transmis au terminal pour que le travail des dockers puisse commencer. Reste un élément primordial à observer et compenser lors du chargement : le bending ou la torsion. Soumis à de telles charges, le navire tord et se déforme. Les forces mises en présence peuvent endommager la structure et atteindre la force de cisaillement qui casse le bateau en deux. Toutes les déformations sont savamment observées avec des repères de tirant d’eau et compensées par les 30 ballastes répartis autour du bateau. L’arc d’un porte-contenairs peut atteindre les 30cm entre les points les plus enfoncés et les moins enfoncés.
Les ballastes compensent donc les charges mais les conventions internationales interdisent de rejeter l’eau d’une rivière (Escaut à Anvers, Elbe à Hambourg par exemple) ailleurs que dans l’océan. Les organismes vivants contenus dans ces eaux pourraient coloniser une zone marine à l’autre bout de la terre, rompant ainsi les équilibres fragiles de la flore avec des algues invasives par exemple. Il y a donc un jeu constant de remplissage et déchargement des ballastes qui s’opère, le tout en gardant les équilibres calculés pour la structure.
On a souvent évoqué le gigantisme des installations. Un navire de ce gabarit, c’est aussi un formidable potentiel pour des activités illicites et principalement les trafics en tout genre. Les conteneurs restent probablement le moyen le plus simple pour faire transiter ces substances. Il arrive que les douanes montent à bord pour faire isoler une boite de la cargaison, probablement traquées depuis des semaines en vue de démanteler un traffic. Mais le navire lui même peut faire l’objet d’étranges pratiques comme ce cargo dont la consommation est soudainement montée en flèche. Les trafiquants avaient envoyé des plongeurs sous la coque pour y souder des coffres remplis de drogue. C’est toute la finesse de l’observation de son navire qui a permis au commandant de déceler le problème.
Conclusion :
Quand j’ai visité Prypiat, mon regard sur le nucléaire a radicalement changé. C’est une autre histoire mais ces grandes « aventures » m’aident à poser un autre regard sur le monde dans lequel je vis et surtout à garder une certaine forme d’esprit critique. Je reste régulièrement subjugué par le génie humain et sa capacité à se surpasser, que ce soit dans un atelier d’Art ou dans les industries les plus impressionnantes.
La course au gigantisme est lancée depuis des années dans la marine marchande. Toujours plus grand, toujours plus fort. L’Amérigo Vespucci a beau être un 14.000 EVP gigantesque, il est loin d’être le plus extravagant puisque les nouveaux bâtiment atteignent 22.000 EVP. Il est probable cependant que la course à l’armement sera stoppée par la capacité des ports à recevoir ces monstres. Avec leur 16 à 17m de tirant d’eau actuel, ils sont déjà à la limite de manœuvrabilité. A Hambourg par exemple, l’Elbe ne laisse que 7 petites minutes à ces navires pour passer à marée haute. Si le créneau est manqué, ce sont 12 heures d’attente obligatoires. Les pétroliers sont déjà déchargés au large, dans les ports en eau profonde, tant leurs dimensions sont excessives. Si on veut encore augmenter la taille des porte-containers, il faudra revoir les installations portuaires et surtout les remettre en mer en condamnant d’office les ports intérieurs comme Anvers et Hambourg.
Reste que les chiffres donnent le tournis. Quelques 20.000 navires sillonnent les mers du globe en brûlant un fuel d’une piètre qualité. C’est un euphémisme tant il s’agit d’un carburant polluant, chargé en souffre principalement. Les lois imposent d’ailleurs de nettoyer ce carburant une fois en Europe pour modérer les rejets souffrés. Une usine de traitement est embarquée dans le navire à cet effet. Une fois dans les eaux internationales, les normes tombent et le taux de pollution remonte en flèche. Le brassage planétaire fait le reste. Les cargos polluent beaucoup par leur masse mais restent probablement ce qui ce fait de moins impactant à tonnage égal.
CMA-CGM travaille d’ailleurs sur ce problème et se positionne comme leader dans la réduction des émissions. Le premier porte containers au monde propulsé au gaz naturel est à l’étude et il devrait ouvrir la voie dans les années qui viennent à une évolution technologique importante. Reste que la flotte mondiale n’est pas prête d’être renouvelée. L’Asie est l’usine du monde, les porte-containers en sont les camions de livraison. En tant que consommateurs, on fait tous partie du problème, que l’on rentre dans une solderie, que l’on renouvelle notre téléphone portable ou que l’on repave nos maisons par exemple. Tout se transporte par containers à des prix tellement dérisoires à la tonne que plus aucune limite ne semble possible. La réduction de la pollution passera aussi par le changement de nos comportements.
L’analyse ne serait pas complète sans évoquer les pavillons. C’est le pays d’immatriculation du navire qui fixe les règles économiques et sociales à bord et notamment celles qui concernent le personnel. A l’échelle mondiale, c’est un des pays les plus pauvres qui détient le record de pavillons sans avoir un mètre de côte. C’est le Liberia qui n’est pas le champion des conditions de protection des travailleurs. Les océans sont le théâtre d’un dumping social forcené. Dans la marine marchande, la représentativité de travailleurs asiatiques est énorme. Les philippins y sont fort appréciés pour leur connaissance de l’anglais. C’est une main d’oeuvre à bas coût qui d’ailleurs n’hésite pas à embarquer de nombreux mois sur ces navires, loin de chez eux.
L’Amerigo quant à lui bat pavillon français. A bord, la sécurité des personnes est la règle numéro un et il est évident que le personnel est bien traité en total respect des règles françaises. La compagnie a bonne réputation et le personnel lui est fidèle. Quand un équipage marche bien, tout le monde a intérêt à ce que cela dure …
Remerciements : Emmanuel Delran, Gilles Thomas, Marlon Tiong, Gerby Pelit, John Mark Maspara, Pierre-Emmanuel Legendre, Christophe Josset, François Jacq, Ernesto Eugenio, April June Atazar, Christophe Corti, Ronald Cumpio, Marlow Banguez, Harold Bartolome, Danilo Perez JR, Eduardo Larawan, Martin Berard, Ronel Melencion, Ronnel Mendoza, Philippe Sauvage, Olivier Rivière, Rany Lucero, Jay-ar Ducay, Gurumurthy Komara, Sankara Rao Tandela, Yerrayya Yoyiri, Franck Bouger, Melvin Dichoso JR, Albert Madalo, José Le Hir, Pierre Richards.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
Comment
Très beau reportage passionnant et fort bien rédigé, bravo et merci !