Lorenzo Ré : le sculpteur de chapeaux, formier.
Formiers de profession, Lorenzo et Lucie Ré occupent un magnifique atelier parisien qui résonne au son des maillets et des rabots. C’est qu’ici, depuis des années, Lorenzo en tant que formier façonne les formes qui serviront de matrices pour les plus grands chapeliers et modistes de la planète. D’origine italienne, Lorenzo achève sa formation de modéliste sculpteur en 1966 à l’école Guiseppe Visconti di Modrone. Il débarque à Paris dans l’atelier tenu à l’époque par son cousin. Au fil des années Lorenzo devient un acteur incontournable dans l’univers des chapeliers et de la haute couture : c’est que Lorenzo est un des meilleurs formiers au monde et qu’ils sont rares, très rares même … Lucie et Lorenzo ont ouvert leurs portes aux Miroirs de l’Ombre : bienvenue chez La Forme, l’atelier où l’on sculpte les formes à chapeaux.
LMdO : En quoi la forme est-elle essentielle pour la fabrication d’un chapeau ?
Lucie Ré : La plupart des chapeaux sont formés à chaud sur des formes en bois qui leur donneront leur allure finale. La Forme réalise ces pièces indispensables aux chapeliers et créateurs. C’est une technique de sculpture de grande précision qui demande beaucoup de savoir faire et de minutie. Ces pièces ne sont pas usinables de façon industrielle. De plus, elles s’usent et doivent être régulièrement remplacées. Les clous finissent par en avoir raison après quelques milliers de chapeaux, certaines formes sont de véritables gruyères en fin de vie. Il faut donc les refaire, à l’identique. En outre, nous déclinons les modèles sur 6 à 7 tailles avec à chaque fois le même résultat esthétique pour le chapeau fini. C’est un travail de grande précision, au millimètre et qui nécessite beaucoup de constance de la part de l’artisan formier. Le bois reste le meilleur matériau pour ce travail car il doit supporter de fortes températures, l’humidité et les aiguilles du chapelier. Il est mis à rude épreuve. C’est le tilleul qui résiste le mieux avec quelques bois exotiques. Quoi qu’il en soit, la matrice est toujours en bois même pour les productions industrielles sur formes en aluminium : tout part toujours d’une sculpture. Pour le formier, c’est un travail de quelques heures à parfois 15 jours pour les plus compliquées.
LMdO : Lucie, quel est votre rôle dans l’atelier ?
Lucie Ré : La Forme propose chaque année une gamme de forme à chapeaux que je dessine pour les clients. Disons que nous avons une gamme qui nous est propre que Lorenzo sculpte alors en très petites séries. Ces sparteries sont mises à disposition des créateurs de chapeaux ici, directement à l’atelier. Je renouvelle la gamme deux fois par an pour les collections d’hiver et d’été. Je suis aussi l’interface entre l’atelier, le formier et les créateurs.
LMdO : Vous devez avoir une bonne notion du résultat final et des contraintes de fabrication du chapelier. Comment procédez-vous ?
Lorenzo Ré : Quand je sculpte une forme, j’imagine en effet le chapeau terminé. C’est indispensable de l’imaginer pour pouvoir le réussir esthétiquement mais aussi pour qu’il soit réalisable par le
chapelier. Certaines forme à chapeau sont fabriquées en plusieurs pièces démontables pour que le travail du chapelier soit possible techniquement puisque certains modèles sont des cônes inversés, dont l’entrée de tête est plus étroite que le haut du chapeau. Cela peut devenir fort complexe. L’époque où nous recevions des cotes et des schémas précis est finie.
Je sculpte à partir de crayonnés fort approximatifs qui me sont remis par les maisons de haute couture, il ne faut pas se tromper sur les intentions du créateurs, d’autant que le chapeau étant un accessoire, les délais de fabrications sont extrêmement courts, voire parfois impossibles … Je me rappelle d’un défilé Dior pour lequel nous avons travaillé 15 jours et 15 nuits pour livrer dans les temps : c’est probablement le plus beau défi que nous ayons relevé. C’était un thème sur l’Egypte et la complexité des chapeaux était énorme. La pression peut être terrible dans ces cas là mais nous nous en sortons toujours. En ça, c’est un métier assez spécial puisque la forme est un passage obligé entre la création du modèle et sa réalisation. Le plaisir vient aussi de la découverte des chapeaux terminés. Nous n’assistons pas à beaucoup de défilés mais c’est un vrai plaisir pour nous quand nous en avons l’occasion.
LMdO : Vous avez donc habillé les plus belles têtes du monde ?
Lucie Ré : On peut le dire. Philip Treacy fait partie de nos clients et est un des chapeliers les plus influents du moment. Il crée des chapeaux pour les stars de la planète entière. Recevoir un prototype de sont atelier est toujours un moment emprunt de suspens car nous allons de surprises en surprises avec lui. Ses pièces sont uniques et parfois incroyablement novatrices. Nous avons parfois du mal à faire rentrer certaines de ses pièces dans l’atelier : l’une d’elle à nécessité 160kg de bois à la base. Sculptée la forme faisait encore dans les 90 kilos soit 30 fois plus que la norme. Le chapeau était gigantesque mais merveilleux. Avec lui nous avons fait des choses incroyables. Beaucoup des chapeaux du mariage du Prince William à Londres sont sortis de ses ateliers.
LMdO : Où en est la culture du chapeau en 2014 ?
Lucie Ré : Si on compare le secteur à ce qu’il était début du 20ème siècle, on constate que le chapeau est en perte de vitesse. Il n’était pas question pour un homme de sortir de chez lui sans son chapeau. Regardez les photos prises vers 1900 et vous verrez que le chapeau était partout. C’est l’automobile et le l’église qui ont donné un coup d’arrêt à la production : le cahier de charge de la 2cv stipulait qu’un homme devait pouvoir y rentrer sans son chapeau. Quant à l’église, elle a autorisé les fidèles a entrer dans les églises tête nue à partir des années 60. Jusque là, tout le monde était chapeauté ….
Le chapeau reste donc un accessoire dans la grande majorité des cas. Chaque marché a ses spécificités avec parfois des adaptations morphologiques inattendues : une tête européenne est plutôt ovale alors qu’une tête japonaise sera beaucoup plus ronde. A taille égale, la forme diffère complètement. Les russes se protègent du froid avec les chapeaux en fourrure, les texans du soleil avec leurs chapeaux de cow-boy, il reste quand même ça et là quelques poches de résistances qui laissent une belle place au chapeau. Sinon, le chapeau de cérémonie a toujours son succès.
LMdO : Comment évolue le métier de formier ?
Lorenzo Ré : Dans le quartier, il y avait pas mal de formiers jusque dans les années 70. Ils disparaissent les uns après les autres car il y a peu de relève. Pour travailler avec les maisons françaises de haute couture , il faut être à Paris. Un des problèmes, c’est le prix du mètre carré difficilement supportable pour un artisan débutant. Trouver un atelier est une gageure. En plus de ces problèmes pratiques, il faut apprendre le métier : beaucoup de ceux qui s’y frottent abandonnent car c’est très compliqué à maîtriser. Malgré ces écueils, j’imagine mal la profession disparaître, on portera toujours des chapeaux, il n’y a pas de raisons que cet accessoire disparaisse de nos penderies.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
4 Comments
Je suis très émue d’avoir retrouvé Les RE sur internet.
J’ai longtemps tenu un atelier de Haute Mode rue de l’Abbaye a Paris 6eme. sous l’enseigne « Venus et neptune ».
La difficulté de leur métier m’a toujours fascinée, leur science et une gentillesse a toutes épreuves m’ ont été d’une aide humaine précieuse.
Je souhaite, ici, transmettre mon plus respectueux souvenir a cette famille..d’artistes.
J’espère, une relève pour ce métier si exigeant ..
Merci pour cette charmante attention France-Anne. C’est vrai que ces artisans sont exceptionnels.
Bonjour, je suis a la recherche de moules à chapeau en aluminium pouvez m’aider merci
Bonjour, malheureusement je ne fais qu’écrire les articles, je ne suis pas artisan moi même, cordialement.