Facteur de clavecin Wolfs : la renaissance d’un virginal !
Pas moins d’un an ! C’est le temps qu’il aura fallu à Jean-Luc Wolfs pour mener à bien la construction du virginal que LMdO a choisi de vous présenter. L’histoire commence donc au début de l’automne dans un petit atelier au milieu de la campagne brabançonne. Sur la table, les plans d’un virginal à l’échelle 1/1. L’original a été construit en 1620 par l’anversois Andeas Ruckers, un illustre prédécesseur de Jean-Luc qui va marcher dans les pas du Maître une année durant pour redonner vie à cet instrument.
Tour à tour ébéniste, acousticien, décorateur, sculpteur et dessinateur, Jean-Luc Wolfs est avant tout un homme de patience, de rigueur, de calme et de sérénité. Le cadre est idyllique, le nouvel atelier en projet. Ingénieur agronome dans sa première vie, Jean-Luc passe de la culture bio à la facture de clavecins presque malgré lui. Son épouse, claveciniste de renom, n’ayant pas les moyens de s’offrir un clavecin au début de sa carrière, elle en commandera un en kit aux Etats-Unis. Cet instrument de bonne qualité ne pourra sonner que s’il est monté avec rigueur et attention. Chaque détail compte. Jean-Luc sait y faire et ses premiers montages sont si convaincants que le petit milieu des clavecinistes va rapidement savoir que la petite commune de Lathuy compte un orfèvre en la matière. La machine est lancée.
LMdO : De cette mise en jambe avec les clavecins en kit, vous allez passer à la facture en quelques années. Comment cela s’est-il passé ?
Jean-Luc Wolfs : En douceur, j’ai appris mon métier de façon totalement autodidacte. D’abord en copiant des instruments existants. Ce n’est que bien des années plus tard que j’ai imaginé un instrument qui est une création propre. Mon métier de facteur est intimement lié à la carrière de claveciniste de mon épouse. Je ne travaille pas que pour elle mais il est certain que sans son expertise je n’aurais jamais pu atteindre ce niveau. Ma formation scientifique m’a quand même aussi beaucoup apporté même si l’agronomie et la musique n’ont pas grands rapports. Je dirais que la rigueur scientifique se retrouve probablement dans la minutie que je mets à construire mes instruments et dans l’approche des problèmes. Si j’ai croisé la route des grands facteurs que comptait le pays : Jean Tournay, Yvan de Halleux, Michel Van Hecke pour ne citer qu’eux, je n’ai malheureusement pas travaillé dans leurs ateliers. Par contre, j’ai beaucoup observé leurs instruments dont j’assure l’entretien. Mes liens d’amitiés avec les facteurs français Marc Ducornet et Emmanuel Danset sont aussi très importants pour mon travail.
LMdO : La somme des compétences est quand même impressionnante.
J-L W : Comme dans beaucoup de disciplines, l’artisan d’aujourd’hui doit vraiment maîtriser beaucoup de gestes, parce qu’il y a beaucoup moins de gros ateliers comme il n’y a pas si longtemps. Les anciens pouvaient avoir jusqu’à 10 ou 15 instruments en production. Leur personnel passait d’un instrument à l’autre, chacun ayant sa spécialité dans l’atelier. Les compétences étaient cloisonnées. Personnellement, je n’ai jamais qu’un instrument sur le métier que je mène de la menuiserie jusqu’à la finition sonore et visuelle. Je ne sous-traite que très très peu. Par contre, les cordes et les sautereaux par exemple sont tellement bien faits que je ne vois pas pourquoi je m’en priverais : je les commande à des artisans basés en Angleterre principalement. Ainsi, une corde tréfilée à l’ancienne dans un alliage proche dans anciens aciers sonnera toujours mieux qu’une corde « moderne », il existe un atelier spécialisé en Angleterre pour ça. Tout le reste, je maîtrise.
LMdO : Parlons spécifiquement du virginal que vous construisez. Quelle est la démarche ?
J-L W : A la base, c’est d’abord la démarche d’un client. Un amateur confirmé et surtout passionné de musique ancienne. Mais l’intérêt de reconstruire l’instrument est aussi ailleurs. C’est une chance unique de ne pas perdre une partie importante d’une histoire commencée au 17ème siècle. L’instrument d’origine ne joue plus. Le Musée des Instruments de Bruxelles l’a en effet mis à la retraite sans avoir omis de l’enregistrer avant sa mise au repos. Nous avons donc une trace sonore, des plans et l’instrument en lui même, même s’il ne joue plus. Avec ces trois clés, le facteur a tout en main pour essayer de recréer un instrument à l’identique. Je dis bien « essayer » car c’est une vue de l’esprit. Le choix de la planche qui servira à la table d’harmonie est crucial par exemple et il y a fort à parier que si deux facteurs s’attaquaient à la même réplique, les deux instruments sonneraient différemment à l’arrivée. Tout est important, jusque dans les moindres détails.
LMdO : Le virus est familial si j’ai bien compris ?
J-L W : J’ai la grande chance d’avoir sous mon toit les deux meilleurs critiques dont je puisse rêver. Mon épouse, Marie-Anne Dachy est claveciniste professionnelle. Un clavecin mis dans ses mains donnera toute sa quintessence. Elle sublimera l’instrument, à condition qu’il soit bon. Les détails ne lui échappent pas et c’est ainsi que je peux ajuster mes instruments dans ses moindres micro-réglages. Notre fils, Julien Wolfs, mène quant à lui une carrière internationale de claveciniste dont nous sommes très fiers. C’est sûr, je suis bien entouré.
LMdO : Parlez-nous du moment crucial dans la naissance d’un instrument.
J-L W : C’est le collage de la table d’harmonie. On part d’un panneau de planches collées avec un chevalet et une caisse vide. Ce coffre devient un instrument à ce moment précis. Ceci étant, il faut attendre plusieurs mois pour l’instrument révèle son caractère. Et encore, une fois terminé, les tensions doivent se stabiliser, les colles doivent se figer, les cordes se roder … on ne prend la mesure de la qualité de l’instrument que bien plus tard. On dit même que les résidus de résine des bois se placent en fonction des nœuds et des ventres provoqués par les vibrations. C’est donc très intéressant pour moi d’aller écouter l’instrument en concert, plusieurs mois après la livraison.
LMdO : Avec une pointe de stress?
J-L W : Toujours un peu mais c’est le prix à payer pour gouter au bonheur de la musique. La livraison de l’instrument est d’ailleurs une échéance indispensable parce que j’ai du mal à terminer mes clavecins : je vois toujours le tout petit détail que je pourrais améliorer.
Je fabrique des objets qui sont faits pour durer, et pour faire revivre la musique. Mon fils vient d’enregistrer, sur un clavecin que j’ai construit pour lui, un disque de Johann Jakob Froberger. [C’est un musicien, compositeur, organiste et claveciniste, allemand, né à Stuttgart en. Véritable organisateur de la suite de danses, il est compté au nombre des plus importants compositeurs allemands du XVIIe siècle, en ce qui concerne les instruments à clavier. Source Wikipédia].
Pour prendre une image baroque, même si c’est un peu prétentieux, mon métier me fait penser à l’élévation de l’ange qui soutient le pied de la vierge. Il existe une magnifique sculpture qui représente cette scène de l’assomption de la vierge à Longueville. C’est un peu ce que j’essaie de faire avec mes instruments, faire monter la divine musique vers l’infini en une variété d’émotions transmises par le musicien. Dans le cas de cet enregistrement, l’élévation est un travail familial que j’ai beaucoup de plaisir à écouter.
Jean-Luc Wolfs Facteur de clavecin : le Site Web.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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