Quentin Halflants, ébéniste : barques, cabanes et roulottes traditionnelles.
Seneffe, vieux canal Charleroi-Bruxelles. Une localisation de rêve. Atelier du Rivage : barques, cabanes et roulottes.
Certes, il a fallu le convaincre. Certes, il a fallu le mériter. Certes, il a fallu patienter. Remettre cent fois l’ouvrage sur le métier, la parfaite philosophie de la maison. C’est que Quentin est un boulimique de travail et de perfectionnisme. Un bâtisseur de rêves, un modeleur de beau et un ambassadeur de l’excellence. Accéder à l’atelier du Rivage, c’est plonger dans un univers onirique et à plus d’un titre. Plate de Bretagne, plate des marais, la Waulsort, la nacelle d’Annevoie, la cabane de Robin, la roulotte de Catherine : décryptage.
LMdO : Dans l’album de famille, on trouve déjà les traces de ton attrait indéniable pour la construction. Tu es tombé dans la marmite d’un ébéniste ?
Quentin Halflants : Mon père était ingénieur et il possédait un atelier de construction métallique dont la spécialité était justement de trouver des solutions à des problèmes uniques. J’ai vu sortir des chaudrons à massepain de ses ateliers et la semaine suivantes des concasseurs industriels. Quand ses clients ne trouvaient pas de solution toute faite, ils sollicitaient mon père. Il faut croire que ce goût à construire et imaginer m’a été transmis puisque j’ai toujours une photographie de la construction de ma première et improbable barque, en plein milieu d’une prairie sans eau. Je crois que c’était en 1970 … j’avais 8 ans.
LMdO : Une anecdote ou déjà un signe avant coureur ?
QH : C’est probablement anecdotique même si j’avais déjà la réputation au village de construire des cabanes de brics et de brocs à longueur d’année avec les copains. Ce n’est que bien plus tard que le bois est devenu une évidence. C’est en réalité la visite du chantier de reconstruction du Batavia en Hollande qui va me trotter dans la tête. Le Batavia est un galion néerlandais qui fut affrété par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales en direction des Indes néerlandaises et qui fit naufrage à proximité de l’Australie le 4 juin 1629.
Une réplique grandeur nature du Batavia avec des matériaux traditionnels (chêne, chanvre) a été construite à Lelystad aux Pays-Bas à partir de sources historiques. J’y ai rencontré un sculpteur maritime français avec qui j’ai sympathisé. Et là, je me suis mis à rêver … mais en tant que wallon, il faut bien admettre que la culture maritime me faisait un peu défaut et que je ne voyais pas bien comment passer des cuisines-placards à la batellerie. C’est un bouquin offert par ce sculpteur de marine qui va tout déclencher : « Les bateaux d’eau douce des fleuves de France ». J’y ai trouvé une barque primitive de la creuse et je me suis lancé le défi de la construire de la de façon la plus fidèle et traditionnelle possible. Quelques mois plus tard, fort de cette première expérience, Emmanuel Burgeot (le sculpteur maritime) m’invitait en Bretagne pour la construction de deux barques.
De fil en aiguilles, quelques mois plus tard, j’ai construit une jolie petite barque pour mes enfants que nous avons essayée régulièrement à droite et à gauche sur les différents plans d’eau de la région. A chaque sortie, ma petite embarcation suscitait de l’intérêt et j’ai décidé de tenter ma chance en l’exposant aux Jardins d’Aywiers lors d’une foire de prestige sur les jardins … c’est là que tout a réellement démarré puisque je suis revenu avec quelques commandes. En deux ans, j’ai complètement réorienté ma carrière pour me consacrer aux barques.
LMdO : Mais comment as-tu retrouvé les plans des barques typiques de la Meuse ? Plus personne ne possède ce savoir faire en Belgique à cette époque ?
QH : En effet, les derniers fabricants ont tous disparu. Le plastique a eu raison de ces petits charpentiers fluviaux et la transmission s’est éteinte avec eux. Walter Gaspard est la mémoire des embarcations d’eau douce. J’ai eu la grande chance de le croiser car il s’est intéressé à la Nâcle mosane, un modèle typique que l’on voit souvent sur les anciennes cartes postales prises le long de la Meuse. Et là, miracle : Walter avait tous les plans ! En 1997, je construis donc la première Nâcle mosane, 30 ans après sa disparition. La rupture de transmission était dorénavant de l’histoire ancienne.
LMdO : Et la gamme se développe ?
QH : Inévitablement … les gens veulent plus grand, plus petit, et donc je commence à concevoir des modèles qui me sont propres et qui sont évidemment fabriqués de façon traditionnelle. Exception faite de la Nâcle mosane, tous les autres modèles sont de ma conception avec les atouts qui en font de bonnes barques : esthétisme, simplicité, stabilité et universalité. Avec une barque, on doit pouvoir naviguer, jouer, pêcher, travailler.
LMdO : Et les clients prestigieux commencent à s’intéresser à ton travail dans la foulée ?
QH : La Reine Fabiola par l’entremise de son intendant m’a commandé une barque en 1999. C’était quand même assez inattendu puisque j’en étais vraiment au début de l’aventure. La barque a servi dans un premier temps lors de la réception de mariage de Philippe et Mathilde. Les invités y déposaient leurs cadeaux, au beau milieu des serres de Laeken. Je suppose que depuis elle a retrouvé le chemin des étangs. Mais c’est vrai que j’ai pratiquement une barque dans chaque château de Belgique ou de France pour peu qu’il y ait une pièce d’eau. Mademoiselle Deneuve m’a aussi commandé une belle barque rouge. Ce sont des rencontres qui marquent, franchement, il y a pire comme métier.
LMdO : Les cabanes, c’est une suite logique pour un ébéniste ?
QH : En effet. Parfois, on me demandait de réaliser des pontons, des cabanes de rangement pour le matériel, des abris pour les barques. J’ai pensé que je pouvais donc construire de belles cabanes et proposer une personnalisation aux clients. Le succès a été immédiat. C’est une sorte de respiration pour moi dans la mesure où l’on peut considérer la fabrication des barques comme de mini séries. J’apprécie toujours cette activité mais c’est dans les cabanes que se trouvent maintenant les challenges. Je ne fais jamais deux fois la même construction et je dois donc tout repenser à chaque fois.
LMdO : Toujours cette âme de bâtisseur … raconte nous la genèse de la roulotte de Catherine et de la cabane de Robin …
QH : C’est mon côté jusqu’au-boutiste … quand je fabrique quelque chose pour moi, c’est un exercice de style, je pousse l’excellence très très loin et je me prends au jeu. La roulotte de Catherine ma compagne, c’est au départ la nécessité de créer un atelier pour qu’elle puisse travailler. Au lieu d’agrandir la maison, on est parti d’un châssis de roulotte traditionnelle autour duquel on a construit une réplique de roulotte des années 30 en poussant le détails assez loin. La cabane de Robin, c’est la même idée … une maison à colombage construite comme au moyen âge, uniquement maintenue par des tenons et des mortaises, avec une toiture traditionnelle en bois. J’ai une fascination par le degré de précision que ces gens avaient à une époque où rien n’était mécanisé pour ainsi dire. C’est le défit de se frotter à un challenge hors norme. Cette cabane est impayable mais elle sera encore là dans 200 ans.
LMdO : Fabricant de rêves ?
QH : Je viens de livrer un cabane flottante. Je rêve de construire une cité entière sur l’eau. Ce serait une synthèse parfaite entre mon attrait pour l’eau et pour les cabanes.
L'atelier du Rivage à Seneffe : le Site Web.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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