L’Atelier de Quentin : le Maître du pain …
A n’en pas douter, votre boulanger est un champion. Un athlète insomniaque presque infatigable qui, la nuit durant, pétrit, malaxe, enfourne, apprête, bassine, boule, façonne, divise et rabat : des kilomètres avalés chaque jour en portant de lourdes charges, jusqu’au moment magique : le défournement. C’est alors que les premières effluves envahissent l’atelier encore plongé au cœur de la nuit. Pensez-y en poussant la porte de votre boulangerie artisanale. Artisanale, certes mais pas que sur l’enseigne. Ici, pas de surgelés, pas de mélanges industriels, tout est fait maison et à la main. La manufacture du pain accueille LMdO pour une nuit, suivez le guide.
Quentin Hergot : Tout à commencé quand j’avais six ans. J’ai visité la boulangerie du village avec l’école. Six mois plus tard, le maître d’école nous demandait de faire un dessin où l’on devait se projeter dans l’avenir. J’ai dessiné un boulanger. Tout était donc inscrit dans ma tête depuis cette époque. Mes parents ont bien essayé de me mettre en garde au sujet des horaires de fous qu’exige la profession, je n’ai rien voulu entendre. Voilà le résultat.
LMdO : Parle nous de ton apprentissage …
QH : Il est classique, en école hôtelière. Disons que l’élève était moins conformiste puisque j’attendais le week-end avec impatience, non pas pour sortir, mais pour travailler avec le boulanger du coin. Je passais mes nuits à fabriquer du pain, j’adorais ça. C’est à cette période que j’ai su que je deviendrais mon patron avec déjà un but ultime : le four à bois.
LMdO : C’est spécial ?
QH : C’est magique tu veux dire! Même si le produit n’est jamais en contact direct avec la flamme, la chaleur diffère selon la technologie du four et confère au produit un goût unique, une texture incomparable. Je cuis sur pierre actuellement car j’ai repris la boulangerie équipée mais mon expérience passée m’a permis de me familiariser au four à bois, c’est incomparable. C’est un peu plus compliqué d’un point de vue logistique puisqu’il faut stocker et gérer le bois, mais c’est sur, un jour je cuirai au bois. C’est l’âme de la boulangerie : je rêve de revenir aux fondamentaux de la profession de boulanger. Ce serait une enseigne spécialisée en boulangerie et rien d’autre. Je cuirais au bois, je n’aurais plus de comptoir car je laisserais la marchandise sur les claies à la sortie du four. L’excellence passe par le choix de produits de base, les recettes et la cuisson. A priori, je ne laisse rien au hasard et surtout, je ne succombe pas à la facilité des produits modernes, certes de qualité mais formatés.
LMdO : Les mélanges tout faits ?
QH : Effectivement, tu peux obtenir des mélanges complets et calibrés en usine. Il suffit d’y ajouter l’eau et de faire pousser. Le problème c’est qu’il est certain que ton produit n’aura rien d’original et de typé puisque tu risques de retrouver le même pain à l’autre coin de la rue. Je fais mes recettes moi même, je les teste, j’écoute mes clients et je tente de nouvelles recettes fort régulièrement. La farine est un produit vivant qui ne se comporte pas de la même façon en hiver qu’en été et dont la tenue change en fonction des saisons. Le boulanger s’adapte à tout cela. A l’Atelier de Quentin, le pain a du caractère, il s’exprime. Je déteste les produits formatés et vous ne trouverez pas deux pains identiques chez moi, ils font leurs caprices à la cuisson, je ne suis jamais à l’abri d’un creux à gauche, d’une boursouflure à droite.
LMdO : Qu’est-ce qui fait la spécificité d’un artisan boulanger, comment peut-il se faire connaître du public ?
QH : Il semblerait que le législateur va enfin mettre un peu d’ordre dans les appellations. Il ne suffira plus de peindre un joli moulin sur la vitrine de son point de vente pour prétendre à la qualification d’artisan. Des contrôles devraient être menés pour vérifier les méthodes de production. J’espère que tout devra être produit et cuit sur place selon des recettes maison. Le surgelé sera banni de l’appellation et bien sûr, les simples point de ventes de produits industriels devraient en être exclus. En attendant, la région bruxelloise ne compte pas d’association d’artisans boulangers comme en trouve en Wallonie ou en Flandre, ce qui est bien dommage. On pourrait avoir plus de visibilité mais peut-être est-on trop peu ….
LMdO : Trois ans après l’ouverture, quel est le bilan ?
QH: Les débuts ont été très durs … j’avoue avoir douté quelques temps car la sauce ne prenait pas. J’ai du m’adapter au contexte géographique de la boulangerie en produisant de la pâtisserie, ce que je n’avais pas envisagé à la base. J’ai fait du chemin depuis et ma production est vendue à 100% presque tous les jours. J’avoue avoir ressenti une grande satisfaction et un soulagement le jour où j’ai vu la file s’étendre sur le trottoir. Ce jour là, j’ai su que c’était gagné. Je suis boulanger dans l’âme et je ne suis pas prêt de me lasser de l’odeur enivrante du pain au défournement.
NDLR : Malheureusement depuis la rédaction de cet article, Quentin s’est vu contraint d’abandonner son rêve … La boulangerie pourtant fort appréciée des habitants du quartier a fermé ses portes en juin 2017. J’ai décidé de laisser mon article en ligne car le témoignage de Quentin me semblait assez représentatif d’une approche respectueuse du métier de boulanger. Le sort en aura décidé autrement ….
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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