Ballons Libert : la montgolfière moderne Made In Belgium. Patrick Libert, balloniste.
Quel est le point commun entre une bétonnière et une montgolfière ? Le parfait équilibre du volume, le galbe idéal pardi ! Patrick Libert est décidément atypique. Il a fait de la montgolfière sa vie et des bétonnières sa passion puisqu’il les collectionne. Il fallait bien qu’il y ait un rapport entre les deux. Ce qui est sur, c’est que Patrick est le seul et unique fabricant de montgolfières de Belgique et qu’à ce titre, il est l’unique constructeur agréé d’aéronefs du Royaume, excusez du peu.
Approcher l’univers de Patrick Libert, c’est suivre la fabrication d’un ballon en atelier mais aussi aller sur le terrain faire voler ces merveilles plus légères que l’air. Reportage.
LMdO : Patrick, pouvez-vous me faire une genèse de votre entreprise ?
Patrick Libert : Tout s’est mis en place l’année de mes 9 ans. En 1970, le ballon à air chaud est remis au goût du jour après 180 ans de placard. Les premiers vols à air chaud étaient particulièrement dangereux puisque l’enveloppe était en papier et la source de chaleur faite de paille brûlée. A l’atterrissage, tout le ballon flambait avec les problèmes que cela pouvait engendrer. C’est donc dans les années 60 que les conditions ont été réunies pour pouvoir voler à l’air chaud en toute sécurité : tissus ininflammables et légers ainsi que le gaz de chauffe conditionné en bouteilles d’aluminium légères et fiables. Les américains remettent donc la montgolfière moderne au goût du jour dans ces années là notamment suite aux recherches effectuées sur les parachutes qui ont permis à la sonde Apollo d’amerrir en toute sécurité. Les anglais leur ont emboîté les pas et sont venus voler en Brabant Wallon un beau jour d’avril 1970 avec cette machine extraordinairement moderne et inconnue ici. Le Brabant Wallon était déjà la zone idéale en Belgique pour voler. Ca tombait très bien, nous y habitions. Quand j’ai vu cette masse apparaître au dessus de ma tête, ma vie a changé pour toujours. J’ai convaincu mon père de poursuivre l’aéronef en voiture jusqu’à l’atterrissage, mon amour pour les montgolfières a débuté ce jour là …. par le plus grand des hasards finalement.
LMdO : Du haut de vos 9 ans vous avez saisi le potentiel de la discipline ?
PL : J’ai eu la conviction immédiate que cette apparition ne serait pas éphémère, qu’il y aurait un avenir pour ce moyen de voler contrairement aux premiers ballons des frères Montgolfier expérimentés pour la première fois en 1783. Pris de passion, j’ai convaincu mes parents de suivre de très près la petite communauté naissante des pilotes de montgolfières belges. Pendant des mois, nous avons assisté aux rares vols de l’époque. On aidait, on observait. On essayait de comprendre. Parfois on volait. De fil en aiguille, maman étant couturière, elle a commencé à effectuer des réparations sur les ballons endommagés. Elle est vite devenue la référence incontournable au point qu’elle connaissait tous les défauts des ballons construits en Europe. Finir par concevoir un ballon semblait logique, forts de cette expérience. Tout était à inventer.
LMdO : Et vous vous improvisez ingénieur en aéronautique ?
PL : Mes parents ont d’abord voulu que je fasse des études « sérieuses » afin d’assurer mon avenir si le ballon s’avérait être une fausse bonne idée. Je n’ai jamais pratiqué le métier pour lequel j’ai été formé, l’ergothérapie. Mais pour répondre à votre question, c’est mon père, dessinateur industriel chez Henricot, une usine sidérurgique, qui a dessiné et imaginé les ballons Libert. A cette époque, tout était simple, il y n’y avait que peu ou pas de réglementation. On pouvait donc s’aventurer dans la discipline sans trop de contraintes, un peu au feeling. Néanmoins, les calculs de mon père devaient être sérieux et fiables pour obtenir un bilan thermique de l’enveloppe optimal, condition sine qua non pour faire voler un ballon en toute sécurité. Ce serait totalement impossible de démarrer un projet aéronautique aujourd’hui sur des bases aussi légères, mais nous l’avons fait. L’époque était ainsi faite. On a donc en fait commencé par construire des structures gonflables publicitaires et des ballons télécommandés de +/- 50m3 au milieu d’un vide juridique complet. Les ballons sont venus après comme une suite logique.
LMdO : Les temps ont changé ?
PL : C’est le jour et la nuit. D’un sport intimiste, le vol en montgolfière est devenu un business de +/- 300 ballons immatriculés en Belgique dont la moitié est fonctionnelle. C’est énorme par rapport à la taille de la Belgique et l’étroitesse des zones de vols . La réglementation s’est incroyablement complexifiée. Les agréments se font à l’échelle européenne au point que début des années 2000, d’aucun prédisait notre disparition à commencer par l’administration de l’aéronautique belge. Quand j’ai décroché les certifications européennes, ils sont venus à l’atelier pour la photo alors qu’ils n’y étaient vraiment pour rien. De façon générale, voler est devenu plus difficile, plus contraignant. La densification urbanistique nous pose de plus en plus de problèmes. Les éoliennes et les lignes à haute tension poussent comme des champignons. Le pilote de 2017 doit vraiment être très vigilent.
LMdO : Vous diriez que les années d’or du vol à air chaud sont derrière nous ?
PL : L’équation devient difficile à équilibrer. Le sponsoring publicitaire a longtemps été la voie royale pour voler à moindre frais. Mais les budgets diminuent à mesure que le gaz, les tissus et les taxes aéronautiques augmentent. Le déclin est doux et lent mais perceptible. Les sociétés américaines, pionnières de la discipline, ferment les unes après les autres par exemple. Il reste 7 constructeurs en Europe qui s’en sortent plus ou moins. Les gros fabricants vivent des exportations en Asie ou en Afrique, là où les espaces et les législations favorables sont encore de mise. Ballons Libert reste dans sa niche : des ballons à taille humaine pour des vols agréables et confortables et bien sur en toute sécurité. En général, on vient chez Libert pour s’offrir le ballon de ses rêves plutôt qu’un ballon à usage promotionnel ou un ballon pour faire du chiffre. Il y a une certaine forme de tradition dans notre savoir-faire. J’ai construit à ce jour plus de 70 ballons sous mon nom et ma marque. Je ne compte plus les reconditionnements de ballons qui reviennent à l’habillage quand la durée de vie de la toile est dépassée. Quoi qu’il en soit, je refuse de fabriquer des ballons monstrueux destinés à transporter des groupes allant jusqu’à 20 personnes. C’est de la pure folie selon moi.
LMdO : Vous êtes un observateur privilégié. Le changement climatique, vous le constatez ?
PL : Sans aucun doute. L’espace de stabilité atmosphérique se restreint de façon visible. A l’avenir, on devra décoller de plus en plus tôt dans la journée par rapport au lever du soleil ou de plus en plus tard par rapport au coucher, à des moments où les sponsors potentiels ne seront que peu ou pas vus. Cela complexifie encore un peu plus le modèle économique. En Espagne par exemple, la nuit, il a fait frais. Le matin, l’air est stable pendant une heure ou deux. La température monte en flèche. Ce phénomène combiné à l’urbanisation galopante favorise la formation d’orages ou à tout le moins d’instabilités rendant la navigation impossible. Le vol à l’air chaud en Espagne c’est donc de l’histoire ancienne. Il y a quelques années, je volais une vingtaine de fois en mai. L’année dernière, je suis sorti 10 fois. C’est un signe.
LMdO : Vous me parliez de vigilance. Vous volez à vue sans radio, sans GPS et sans transpondeur, ce n’est pas très moderne tout ça non ?
PL : La plupart des nouveaux pilotes équipent leurs ballons de toutes ces aides technologiques. Conclusion, ils passent leurs vols les yeux rivés sur leurs écrans. Pour moi, ils passent à côté de l’essentiel, à savoir le côté aléatoire d’un vol et la suspension du temps. Ce sont d’ailleurs généralement les pilotes les mieux équipés que l’ont retrouve dans les lignes à haute tension tout affairés qu’ils sont à contrôler 1001 paramètres alors que l’essentiel, c’est de faire corps avec la machine et son environnement. Heureusement, les accidents restent très rares, mais je suis vraiment un adepte du pilotage à l’ancienne si je puis dire. Le vrai danger vient cependant de l’étranger où les ballons européens déclassés terminent leur vie dans un chaos juridique, législatif et technique complet. Les accidents y sont fréquents et souvent mortels. C’est depuis que les ballons sont devenus de gros transporteurs qu’ils tuent les gens. Chez moi, les vols sont limités à 4 personnes, 5 au grand maximum. Et croyez moi dans ma nacelle tout le monde profite à 100% de l’expérience. Emmener 20 passagers dans une nacelle, c’est une hérésie selon moi.
LMdO : Qu’est-ce qu’il vous plait dans votre métier ?
PL : Quand je quitte le sol, je quitte l’agitation de mes contemporains. Dans un ballon, on a encore le sentiment de dominer des choses à priori indomptables. C’est aussi un cercle d’amis à fédérer et motiver autour d’un projet parfois capricieux. Un pilote n’est rien sans son équipe de décollage et de récupération. Ces passionnés cantonnés aux rôles un peu plus ingrats du vol doivent s’accommoder des annulations de dernières minutes. Par exemple quand je considère que les conditions de sécurité ne sont pas remplies et que j’annule un vol à la dernière seconde quand la montgolfière est debout, prête à bondir. Il m’arrive aussi parfois de poser le ballon dans des endroits pas forcément faciles d’accès pour la récupération. Chez Libert, on garde par exemple en mémoire un atterrissage dans un jardinet entouré de murs au-dessus desquels il a fallu faire repasser tout le matériel, nacelle comprise. Ces jours là, on se rappelle que sans eux, on n’est rien en tant que pilote.
Contribution photographique supplémentaire : Dominique Pire
Une montgolfière Libert en quelques chiffres :
- Deux mois de fabrication, c’est le temps moyen nécessaire aux ateliers Libert pour livrer un ballon neuf.
- Durée de vie d’une enveloppe : 500 heures de vol. En effet, le tissu s’use et les contrôles sont strictes.
- Volumes des enveloppes fabriquées chez Libert : entre 2200 & 3000 m3.
- Nombre de passagers : 5 maximum
- Nacelles traditionnelles en osier tressé.
- 12 km de couture en moyenne pour un ballon de la taille de 2500 m3
- Prix : à partir de 30.000 euros
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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