Faire parler la poudre : quand les artificiers jouent avec le feu.
La poudre noire a été rapportée en Europe au 13ème siècle par Marco Polo, de son long voyage en Chine. Elle a été depuis lors parallèlement utilisée pour la guerre et les fêtes. Jusqu’au 19ème siècle et l’avènement de la chimie moderne, les feux d’artifice étaient principalement jaunes ou blancs. Un livre d’Adrien Romain les évoque en 1611. En France, le premier vrai feu a été tiré sur la Place des Vosges, à Paris, alors Place Royale, pour le mariage d’Anne d’Autriche avec Louis XIII en 1615 [source Wikipédia].
Les chinois sont restés les meilleurs (et aussi les moins chers) pour produire les bombes, batteries et autres fusées du 21ème siècle. Si tout est fabriqué en Asie, la mise en oeuvre sur le terrain est affaire de spécialistes. LMdO a suivi Party Fices pour quelques feux cet été. Sécurité, rigueur, esprit d’équipe, stress aussi : bienvenue sur le terrain de jeu de l’artificier champion de Belgique !
Vincent Demoulin : Mon père travaillait pour une très grosse boîte d’importation de jouets pour la Belgique. Dans le catalogue, il y avait du matériel pyrotechnique pour les particuliers. La rentabilité n’y était pas et ils ont décidé de se débarrasser de la section des feux d’artifices, difficile à gérer. Mon père m’a proposé de la reprendre. J’ai racheté le stock et en 72 heures, j’ai créé Party Fices. C’était en 1994. Bien sur, les premières années ont été fort difficiles. Je n’y connaissais absolument rien. Ma formation en marketing m’a permis de passer à travers les gouttes mais j’avais tout à apprendre sur le métier d’artificier. De fil en aiguille, j’ai fini par suivre une formation en France dans le but de tirer des feux professionnels. J’ai fait ça avec Benoît Chapelle, mon ami et associé depuis le début.
LMdO : C’est donc à cette époque que tu acquiers tes galons d’artificier ?
VD : Honnêtement, les premiers temps nous tirions de petits feux et de façon empirique. Ce n’est que vers les années 2000 que le commerce en gros d’articles pyrotechniques a vraiment décollé et que j’ai pu parallèlement développer l’activité pro. Au début, on ne tirait que quelques feux par an. Actuellement, j’en tire plus de 300 et j’importe plusieurs centaines de tonnes de produits pyrotechniques par an. On a fait du chemin.
LMdO : Tu as donc clairement deux activités ?
VD : Distinctes en effet : la partie grand public avec une législation spécifique impose des dosages nettement inférieurs à ceux que l’on utilise dans les feux professionnels. Ce sont deux mondes différents.
LMdO : Heureusement non ? C’est très impressionnant un feu pro quand on est au cœur de l’action …
VD : Les dosages ont beau être beaucoup plus faibles pour les particuliers, malheureusement chaque année on déplore des accidents. Quand un particulier tire 1kg (la limite légale), on en tire des dizaines voire des centaines sur un feu pro. Ça reste des explosifs et les précautions doivent être respectées à la lettre. Ce n’est pour rien que notre entrepôt est en pleine campagne dans une ancienne cartoucherie. Les produits sensibles sont à l’abri dans des bunkers enterrés. Artificier c’est un métier où l’on ne transige pas avec la sécurité …
LMdO : Une discipline dans laquelle on innove beaucoup ?
VD : La panoplie de produits disponibles est énorme. Il existe des centaines de références mais néanmoins, 80% des produits restent au catalogue d’une année à l’autre. Mais oui, les fabricants nous proposent des nouveautés régulièrement. Toujours plus beau, plus grand, plus coloré, plus vif. Toute la production mondiale est chinoise, surtout depuis l’accident de Enschede en Hollande qui a fait des dégâts hallucinants et surtout près de 25 morts : la législation européenne et les coûts de production ont tout ramené en Chine.
En fait, il semble ne pas y avoir de limite puisque j’ai vu des bombes de 1200mm, c’est très impressionnant. Je n’ose pas imaginer un problème sur la charge propulsive avec de pareils diamètres. Sur mes gros feux, je tire du 150mm et crois moi, tu n’as pas intérêt à être dans le chemin. Il est clair que, esthétiquement, les feux s’améliorent d’années en années, c’est une certitude : la variété des produits pyrotechniques est vraiment étonnante. J’ai ainsi récemment tiré des produits flottants sur les eaux de la Meuse … très impressionnants. Il faut aussi tenir compte de l’évolution de l’industrie du spectacle puisque nous créons régulièrement des feux musicaux doublés de laser et de light show parfois à l’échelle d’un quartier entier comme à Namur. L’artificier du 21ème siècle est d’abord un créateur d’événements où les technologies les plus modernes sont mises en oeuvre.
LMdO : Et le tout toujours dans l’ombre ? Un travail de préparation titanesque pour quelques minutes de show, qu’est-ce qui te motive dans cette vie là ?
VD : [long sourire] … à bien y réfléchir, nous sommes restés une bande de gamins qui aimons jouer avec le feu. Jouer n’est certainement pas le bon terme et ça peut paraître un peu réducteur mais quand tu as goûté à la poudre, tu deviens vite accro à la discipline. La première bombe tirée efface toutes les difficultés de la journée. Bien sur, la vedette, c’est le feu. Nous ne sommes que les exécutants mais quel privilège. Voir la mine réjouie du public après le final suffit à nous motiver. Ce n’est ni la pluie, ni le froid ni les horaires de fous qui nous arrêteront.
J’ajoute que nous tirons encore « à l’ancienne ». Si nos gros feux sont automatisés (une commande WiFi donne l’impulsion générale à tous les pas de tirs), nous allumons encore beaucoup à la baguette. Une série d’artificiers se synchronisent et allument à l’ancienne les départs des mortiers. C’est grisant et la poussée d’adrénaline est garantie. Ces quelques minutes de communion entre les artificiers sont très importantes. Nous entretenons un vivier de passionnés qui nous suivent sur les feux et qui n’attendent alors qu’un chose : pouvoir tirer.
Avant chaque feu, nous nous protégeons avec nos équipements spéciaux, nous parlons de la synchro à trouver pour le tir et surtout, nous nous embrassons tous et toutes en nous souhaitant un bon feu. C’est une tradition à laquelle je tiens beaucoup, elle unit notre petite famille et elle conjure le sort.
LMdO : Une petite famille d’artificiers qui a fait des merveilles à Ostende ?
VD : C’est une compétition annuelle qui réunit le gratin des artificiers belges. En 2011 nous avons décroché le titre à la fois du jury et du public. Une année de consécration qui je pense a tiré Party Fices vers le haut puisque nous avons tiré de très gros feux depuis lors, gage de notre savoir faire. L’année dernière nous avons aussi décroché le prix du public. Il me reste à viser un feu mythique du 21 juillet et puis je pourrai me tourner vers les compétitions internationales … chaque choses en son temps.
Crédits photographiques extérieurs : Marc Guillaume & Dominique Pire, avec tous mes remerciements.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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