Taxidermiste Jean-Pierre Gérard : la taxidermie élevée au rang de l’art.
Le tannage des peaux et la taxidermie sont intimement liés. On retrouve déjà des traces de tannages à la préhistoire. A Liège, en Belgique, c’est depuis 1870 que les différentes générations président à la destinée de l’atelier de taxidermie « Gérard » dont la renommée a largement dépassé nos frontières. Quelques jours durant, LMdO a assisté à la naissance d’une véritable oeuvre d’art dans les ateliers liégeois du taxidermiste. La licorne est un mythe grec des plus importants! Elle était la monture des dieux. Du mythe à la réalité, l’atelier de taxidermie Gérard donne naissance à une licorne ailée commandée par la prestigieuse galerie Masaï, une référence en matière d’animaux naturalisés de belle facture.
Jean-Pierre Gérard est l’arrière arrière petit fils du fondateur. C’est sous son impulsion que la maison Gérard a bousculé les limites de la discipline en collaborant régulièrement avec de grands artistes et designer, relevant sans cesse les défis les plus fous. Rencontre.
LMdO : Quelle est la nature de votre métier de taxidermiste ?
JPG : La maison a depuis toujours une triple activité. Un atelier de tannerie, une section de taxidermie et enfin ce qu’on appelle la plastodermie. A une époque, nous effectuions beaucoup de moulages complets des animaux naturalisés qui sortaient de l’atelier de taxidermie. Ces moulages (la plastodermie) permettaient alors de recréer des animaux similaires, tout à fait factices que l’on pouvait par exemple laisser à l’extérieur. Mon activité de taxidermie a pris tellement d’ampleur que j’ai du faire des choix. La plastodermie est en veilleuse aujourd’hui.
LMdO : Un retour aux fondamentaux ?
JPG : La base de notre métier de taxidermiste est assez stable, même si les techniques évoluent fort. Il n’y a pas d’école, tout s’apprend sur le tas et se transmet. Aujourd’hui, nous utilisons des formes en polyuréthane très légères qui permettent des prouesses. L’audace d’aujourd’hui était impensable du temps des empailleurs. Comme le nom l’indique, ils utilisaient de la paille pour donner du volume aux animaux naturalisés. Cette technique ne permettait pas autant de finesse que de nos jours et le poids était une vraie contrainte. En ce sens, le polyuréthane a révolutionné la discipline.
LMdO : Au point de réorienter votre métier ?
JPG : Oui et non. Le bon taxidermiste, d’hier ou d’aujourd’hui, cherche à s’approcher au plus près de la réalité. C’est un métier assez frustrant car les centaines de petits détails qui font la différence sont très difficiles à atteindre. Quelques jours après la fin d’une pièce, le séchage de la peau commence à gommer une partie des détails que l’on s’est évertué à respecter. Tous les défauts apparaissent.
Chaque pièce contribue à notre expérience. Même après avoir monté 100 lions, on apprend tous les jours et le 101ème lion sera un peu plus abouti que les précédents. On se recycle sans arrêt. Découvrir de nouvelles colles, chercher les accessoires crédibles, travailler les coutures pour mieux les camoufler, s’entourer des meilleurs artisans. Nous allons très loin de ces détails, c’est peut-être ce qui fait notre réputation. De surcroît, je ne connais pas d’autre taxidermiste en Belgique qui ait sa propre tannerie. C’est un avantage indéniable. Nous maîtrisons le processus de A à Z : dépeçage, tannage, amincissement, sculpture et montage. Une cape (NDLR : l’enveloppe d’un animal) qui est préparée par nos soins correspond exactement à nos attentes, c’est très précieux.
LMdO : Mais c’est une fameuse organisation, voire une contrainte. Vos journées sont parfois mouvementées ?
JPG : Effectivement. Quand un animal décède dans un zoo, un cirque ou un parc, nous devons intervenir très vite pour pouvoir le naturaliser. Régulièrement, nous abandonnons l’atelier et nous sautons dans la camionnette pour nous rendre sur place enlever un animal décédé. Si son volume est trop important, nous le dépeçons sur place, c’est une vraie course contre la montre. Nous passons régulièrement des nuits blanches. Quand on est passionné, on ne compte pas.
LMdO : Quelle est la une dimension scientifique de votre travail ?
JPG : Tous les animaux sont répertoriés par leur nom scientifique. Espèce et sous-espèces, c’est une recherche permanente. Les livres d’anatomie ne sont jamais loin. La rigueur est à ce prix, il faut étudier les postures des animaux : les aplombs, les plans profonds, les muscles, les plans superficiels. Nous observons en permanence ce que fait la nature pour essayer de l’imiter. C’est d’ailleurs cette expertise qui nous permet de rentrer dans les plus grands musées du monde. Les 4 premières générations ont travaillé pour un marché très local composé exclusivement de chasseurs. On est très loin de cela aujourd’hui. Nos clients sont des institutions scientifiques, des musées et aussi des particuliers. Depuis peu, nous travaillons aussi pour les artistes et les designer.
LMdO : L’image de la taxidermie est-elle entrain de changer ?
JPG : Clairement. D’un marché local, on est passé à un marché international. Il a fallu s’adapter et surtout tout apprendre de cette multitude d’espèces nouvelles, inconnues dans nos régions. En une génération, on est passé de 100% d’animaux indigènes à 20% actuellement. Nous avons du réapprendre notre métier. La législation s’est considérablement durcie et cela aussi a nécessité une adaptation que nous avons fort bien intégrée au point de devenir une référence. Tous les animaux naturalisés sont munis d’une puce électronique d’identification inviolable. Je suis très attentif à respecter la loi à la lettre, c’est très important pour notre crédibilité. Le regard sur la taxidermie a changé. Il n’est plus tabou d’exposer un animal naturalisé dans son salon. Pour preuve, le carnet de commandes est plein pour les trois prochaines années.
“La vie commence là où commence le regard.” De Amélie Nothomb Métaphysique des tubes
LMdO : Faut-il aimer les animaux pour être un bon taxidermiste ?
JPG : Il faut rester humble. Si je n’avais pas de plaisir à observer les animaux vivants, je ne serais pas en mesure de leur donner une seconde vie et surtout de faire en sorte que mon travail soit crédible. Je soigne particulièrement le regard. Dans deux ou trois cents ans, si nous avons bien travaillé, ces regards devraient toujours interpeller notre public d’alors.
Jérémy Lizin : “Qui cherche la perfection obtient l’excellence.”
On parle souvent « transmission » dans les Miroirs de l’Ombre. Cinq générations de « Gérard », Jean-Pierre n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Ce qui frappe quand on côtoie un peu les gens de l’atelier, c’est la grande autonomie donnée aux jeunes. Fort de ses dizaines d’années passées dans le métier, Mr Gérard veille mais que l’on si trompe pas, les taxidermistes de la maison ne sont pas de simples exécutants. La dimension artistique ne leur échappe pas et les pièces sont le fruit de leur expertise.
Jérémy Lizin est tombé dans la marmite vers ses 15 ans. Voisin de l’atelier, il a d’abord satisfait sa curiosité en traînant au milieu des taxidermistes les mercredis après-midi. Son envie de consacrer son futur aux animaux, il ne va finalement pas le concrétiser comme il le pensait dans les parcs animaliers. De fil en aiguille, il intègre l’équipe de Mr Gérard, d’abord en apprentissage, au bas de l’échelle, comme tout le monde. Très vite, Mr Gérard va déceler chez Jérémy des prédispositions étonnantes et un don réel. A vingt ans à peine, Jérémy travaille déjà sur les pièces les plus prestigieuses qui sortent de l’atelier.
Ces dernières années, l’atelier s’est fait une spécialité supplémentaire : accompagner les artistes dans leurs rêves les plus extravagants. Quand Daniel Firman a cherché un taxidermiste pour créer son éléphant sur la trompe, toutes les portes se sont fermées devant lui. Impossible ne fait pas partie du vocabulaire de Jean-Pierre Gérard qui a relevé le défi avec l’artiste. La peau de l’éléphant pesait 500 kilos avant son entrée dans l’atelier. Son amincissement lui a fait perdre 380 kilos sur la balance et l’habillage de la structure en polyuréthane a été rendu possible malgré la position improbable du pachyderme.
Taxidermie Gérard : le Site Web.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
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