Albert Bigaré : facteur de cannes et duplicateur de mouches …
Considérée par les uns comme un sport à part entière, par les autres comme une activité élitiste un peu snob en raison de ses origines britanniques et du langage qui l’accompagne, la pêche à la mouche déchaîne l’imagination des passionnés. Pour la plupart des moucheurs, il s’agit d’ailleurs d’une discipline avec ses codes stricts : on ne prend rien, on remet toutes les prises à l’eau.
A quoi bon me direz-vous ? Les pêcheurs à la mouche sont généralement très sensibles à la préservation environnementale : passionnés de nature, ils convoitent un idéal de nature sauvage, préservée. Aussi n’ont-ils de cesse de chercher à découvrir des « petits coins secrets » éloignés des turpitudes d’une société urbanisée, souvent jugée comme trop « rapide ». Juste pour la beauté du geste, pour la technique et l’expérience à acquérir. En Belgique, à quelques encablures de Huy, Albert Bigaré vit sa seconde vie professionnelle au milieu des mouches, des cannes, des leurres et des histoires de pêche … Rencontre d’un moucheur passionné, facteur de cannes sur les rives du Hoyoux.
LMdO : Passer de la pâtisserie à facteur de cannes, c’est un grand écart peu banal ?
Albert Bigaré : Ce sont les seules choses que je sache faire de mes dix doigts. J’ai transformé une passion en un métier. Dans ma première vie, je fabriquais des gâteaux et, déjà, je me remettais en question en permanence. J’ai toujours cet état d’esprit dans mon activité actuelle : faire de mon mieux, me renouveler, ne jamais considérer les choses comme figées. Je n’aurais pas pu être simple revendeur de matériel, il fallait que j’y mette mon grain de sel …
LMdO : De quelle façon ?
AB : J’ai beaucoup de clients qui viennent avec des produits du commerce qu’ils me demandent d’améliorer en plaçant par exemple des contre poids pour équilibrer la canne et améliorer sa prise en main. Evidemment, on peut aller beaucoup plus loin. Décorer finement la canne avec des plumes, des gravures ou sérigraphies, cela n’améliore pas objectivement la qualité de la canne mais peut-être cela contribue t’il à mettre le pêcheur dans de bonnes conditions psychologiques pour pratiquer son art. Si de surcroît, la canne est à la base de bonne facture, le plaisir devient intense. Je travaille les points techniques précis qui font d’une canne, un bon outil adapté à son utilisateur. Le carbone a révolutionné le genre il y a une cinquantaine d’années par sa légèreté et sa résistance. Je suis le seul artisan au monde a pouvoir modifier les tubes Sage, une marque américaine qui fabrique des tubes carbone pour la pêche. Je reponce les livrées qui m’arrivent pour pouvoir customiser les cannes qui me sont commandées. Je fournis un peu partout en Europe avec une garantie d’usine Sage.
LMdO : Mais votre passion va au-delà, il suffit de voir les trophées et les articles de presse que vous affichez fièrement ?
AB : Si je fournis un peu partout, c’est aussi parce que l’on me connaît dans le milieu comme compétiteur : j’ai gagné pas moins de quatre médailles aux championnats du monde et ai été sacré plusieurs fois champion de Belgique. Effectivement, je suis un compétiteur dans l’âme. Cela doit être génétique car mon fils suit la même voie dans un tout autre domaine, certes. Depuis des années, je participe à une multitude de compétitions internationales qui sont aussi d’extraordinaires laboratoires pour tester le matériel. C’est mon terrain de jeu et d’expérimentation. La pêche à la mouche rompt complètement l’image que l’on peut se faire de la pêche tranquille. On parcourt des kilomètres dans les rivières avec parfois de l’eau jusqu’au cou … le bouillon n’est pas toujours loin d’ailleurs … Nous sommes des observateurs privilégiés de tout cet écosystème qui nous entoure et nous participons activement à sa protection. C’est un engagement à la fois sportif, environnemental et presque philosophique je dirais.
LMdO : Fondamentalement, qu’est-ce qu’il vous plait dans la pêche à la mouche ?
AB : C’est le jeu du chat et de la souris. Le poisson est dans son milieu naturel évolue avec un sérieux avantage sur la pécheur. Tout le challenge réside à le leurrer avec les techniques de pêche, la connaissance du milieu et le choix des leurres. C’est une équation fort complexe en fait. La joie que j’en retire est telle qu’il ne me viendrait jamais à l’idée de tuer mon poisson.
LMdO : Parlez-nous des leurres justement …
AB : L’un ne va pas sans l’autre. On ne pèche jamais avec du vivant, ce n’est pas possible, l’appât ne résisterait pas. Il faut donc donc imiter la nature et tenter de convaincre le poisson. Il y a deux catégories de leurres : les mouches imitatives et les mouches incitatives. Les premières rassurent le poisson qui est censé connaître ce qu’on lui propose, les secondes titillent sa curiosité, son agressivité. C’est la raison pour laquelle les types de mouches sont infinies. Personnellement, j’ai plusieurs milliers d’exemplaires disponibles quand je pars en compétition. Je ne dirais pas que je suis aussi passionné par les insectes que par les poissons mais c’est quand même intéressant d’en connaître rayon à leur sujet.
LMdO : J’imagine qu’il doit y avoir une bonne dose d’intox entre pêcheurs, que les histoires sont légion.
AB : (grand sourire) … La bonne blague, c’est de faire une bonne journée avec de nombreuses prises et de faire semblant d’avoir une mouche épinglée par inadvertance sur la veste … à une époque, le lendemain, tous les compétiteurs avaient une mouche comparable pour commencer la journée. Le truc est bien connu maintenant et ne trompe plus grand monde. Ce n’est pas bien méchant d’ailleurs, pour être franc, le milieu est plutôt convivial et la bonne entente est de mise.
La Maison de la Mouche
Rue du Pont de Vyle 6
4570 Marchin – Vyle-et-Tharoul
Liège – Wallonie – Belgium 085 41 37 32
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
Comment
Amusant, ces histoires de mouches… 🙂