Atelier d’art à Venise : l’excellence à l’italienne. Artisans à Venise.
Introduction.
Les vénitiens sont à la croisée des chemins ou des canaux, c’est selon. Trois cents mille habitants au 19 ème siècle, ils ne sont plus que 45.000 aujourd’hui. A ce rythme, dans 50 ans, Venise ne sera plus qu’un grand décor de cinéma vidé de son identité et son âme : ses habitants. Dans la rue, un vénitien a statistiquement 500 fois plus de chance de croiser un touriste que son voisin. Ils sont 26 millions à visiter la cité chaque année, à la fois oxygène et étouffoir de la cité des Doges.
Une semaine durant, j’ai poussé les portes des meilleurs artisans à Venise, aidé en cela par un natif de Murano. J’y ai rencontré à la fois les travailleurs de l’ombre et les habitants de l’ombre. Une sensation étrange teintée d’émerveillement pour les plus beaux métiers et de craintes pour l’épaisseur du vernis qui protège encore toute cette tradition. Une question me taraudait : que restait-il vraiment de la réputation mondiale des artisans à Venise ? Le faux souvenir « made in china » avait-il réduit ces hommes et ces femmes au rôle de pantins de la mondialisation ? La verroterie avait-elle tué les Maîtres verriers ? La dentelle « made in Vietnam » avait-elle définitivement réduit Burano à un décor en carton plâtre, pas si loin du concept de Las Végas ? La réponse est mitigée mais le constat est sans appel, les ateliers disparaissent les uns après les autres. Comment en serait-il autrement? Si les habitants fuient, les artisans en font partie. L’exode est là !
Venise affiche des tarifications immobilières astronomiques. Y rester, c’est un combat, s’y installer, c’est un rêve (ou un cauchemar) inaccessible. La dimension démographique et économique c’est une chose. Reste que Venise se bat aussi pour sa simple survie géographique. Depuis toujours d’ailleurs. L’équation à plusieurs inconnues est complexe. Même Moïse s’en mêle, pour faire barrage aux « acqua alta », ces inondations à répétions qui sapent les pieds de la ville. Les travaux gigantesques et controversés ont commencé. Toujours cette course contre la montre ….
Des Acqua Alta qui semblent avoir augmenté depuis le creusement de la lagune pour céder le passage aux monstrueux paquebots géants qui narguent la place Saint Marc de leur 140.000 tonnes tout en donnant lieu à des scènes surréalistes : à Venise maintenant, les touristes à terre photographient les touristes amassés sur les buildings flottants qui photographient les touristes à terre. Un « Je te tiens par la barbichette » assez ridicule à observer, il faut bien l’avouer.
Alors ? Venise est une ballerine en cristal fragile et brillante. Toujours mourante, toujours renaissante. A Venise la main de l’homme se bat contre le vent, l’eau et le sel … elle façonne aussi. Visites d’une série d’ateliers d’exception. Il y a un cœur qui bat là dessous. Sous leurs pas, c’est dur et ça tient ! En dehors des sentiers trop battus, il reste une Venise authentique que j’ai pu un peu découvrir.
Fabiano Amadi. -> Maître souffleur de verre, atelier d’art à Venise
C’est en 1201 que le Sénat de Venise a voté des lois obligeant les verriers à quitter Venise pour Murano. Le risque d’incendie était trop important à Venise déjà très urbanisée à cette époque. Cet isolement des ateliers de production a permis aussi de garder des secrets de fabrication que les verriers ont toujours jalousement voulu protéger. Le caractère insulaire de Murano y contribue. C’est donc sur cette petite île d’à peine 1,2km² que les Maîtres du feu font toujours danser le verre en fusion, font rouler les perles et font ainsi vivre les nombreux métiers du verre.
Fabiano est un des Maîtres verriers les plus réputés de la tradition verrière de Murano, une tradition de plus de 1000 ans. Né à Venise en 1962, il possède son propre atelier depuis 1995, fort de déjà une vingtaine d’années d’expérience à cette époque chez les plus grands de Murano : Francesco Barbini et Ennio Compagno, connu comme étant l’“Orfeo”. Les réalisation de Fabiano sont le fruit d’un talent artistique indéniable et d’une maîtrise du soufflage hors norme. Il est capable d’interpréter des formes classiques avec une grande maîtrise technique et une grande sensibilité chromatique. C’est dans l’art contemporain que Fabano s’exprime le mieux, quand il peut combiner la sensibilité des plus grands designer mondiaux avec l’innovation, le respect des traditions et des techniques de soufflage du verre. (English Version Michele Beraldo).
La réputation du verrier vient aussi de la taille des pièces. Tout s’organise autour du Maestro comme une véritable chorégraphie. Les quatre fours tournent à plein régime, toujours prêts à fournir de la matière pour la pièce qui se prépare. Le Maestro cueille le verre dans un four et commence à donner vie à sa pièce à l’aide des cannes à souffler, aidé en cela par une armée d’assistants. Autour du banc du verrier, on soutient, on souffle, on protège, on réchauffe mais on parle peu, les verriers savent ce qu’ils ont à faire.
L’or est préparé sur une table un peu à l’écart, bientôt Fabiano viendra rouler le vase en construction sur les feuilles précieusement alignées. Le geste est rapide, assuré. Il est physique aussi ! C’est que le colosse de verre affiche trente kilos sur la balance. Les cinq hommes s’affèrent une bonne heure durant pour donner vie au vase. Une pièce impressionnante et puissante, à la fois massive et légère au regard. Fabiano est un véritable dompteur de la matière et des formes, un athlète aussi à son façon …
Chez Fabiano, nous avons assisté à la fabrication d’un vase monumental qui fait appel aux techniques de soufflage, d’incrustation d’or, de roulage, voire de sculpture … la pièce refroidira lentement dans un four dont la température descend par paliers. 24h plus tard, je retrouve les vases chez Sergio Maguse pour la finition des pièces. Il s’agit ici de polir la base des vases pour assurer leur stabilité, étape indispensable et délicate pour que la pièce puisse être livrée quelque part sur le planète.
Ercole Morretti. -> La perle de verre depuis 1911, atelier d’art à Venise
Ce sont trois frères Moretti qui ont fondé l’atelier en 1911. Ercole, Norberto et Iginio y produisaient la perle traditionnelle de Venise dite « le chevron » et excellaient déjà dans le « Millfiori », une mosaïque de verre à base de murrines. La société n’a jamais interrompu ses activité depuis plus d’un siècle et produit toujours de merveilleuses perles sous la houlette des petits enfants des trois fondateurs. Evidemment, la gamme des perles a été fort élargie depuis cette époque et à côté des traditionnelles Chevron et Millefiori, on retrouve maintenant des perles aux noms évocateurs comme “Africa”, “Sommerso”, ou encore “Fiorato”.
Pendant une vingtaine d’année, l’atelier a produit des perles de verre qui imitaient à la perfection les perles naturelles. La petite partie muséale de l’atelier témoigne encore de cette époque pas si lointaine où les vénitiens régnaient en maîtres sur le verre mondial. Ces productions ont été délocalisées depuis car elles n’étaient plus rentables en Italie. Mais ce qui fait la réputation internationale de la maison Moretti, c’est toujours le « Millfiori » constitué de murrines : des baguettes de verre multicolores, aux diamètres et teintes différents, créées et amalgamées à chaud puis coupées transversalement et qui sont ensuite contraintes dans des formes pour les cintrer et créer des bols, assiettes ou autres objets de décoration multicolores. La maison s’est adjointe les services des plus grands designers mondiaux et donne une image résolument contemporaine du verre de Murano.
Ongaro e Fuga -> le miroir traditionnel vénitien, atelier d’art à Venise
Il fallait bien que cela arrive un jour, les Miroirs de l’Ombre poussent les portes d’une miroiterie. C’est dans la plus pure tradition vénitienne que je découvre l’atelier de la famille Ongaro. Le nom même de la famille Ongaro trahit ses origines hongroises. On retrouve déjà des traces de la famille dans les registres vénitiens du 15ème siècle. L’emblème de la famille est d’ailleurs un roi hongrois couronné et armé d’un sceptre. La famille donnera une lignée impressionnante de Maîtres Verriers qui occuperont des postes importants à Venise au fil des siècles. L’atelier de miroirs traditionnels vénitiens que j’ai visité a été fondé en 1954 et est maintenant dirigé par les trois fils de la miroiterie. Ongaro & Fuga perpétue une tradition verrière typique de Murano qui remonte au 16 ème siècle et qui n’a jamais vraiment changé.
A partir de simples vitrages, l’atelier crée de toute pièce les miroirs les plus impressionnants qui soient. Gravure, argentage, encadrements, tout est maîtrisé en interne dans le petit atelier de Murano dont la réputation a d’ailleurs largement dépassé les frontières de l’Italie puisque Ongaro e Fuga collabore avec les plus grands architectes, artistes et designer mondiaux. Le savoir faire est impressionnant. Tant en matière de restauration que de création.
Battiloro -> Batteur d’or, atelier d’art à Venise
Il est des ateliers dont je pense que je n’oublierai jamais la charge émotionnelle. Battiloro en fait partie. Est-ce la préciosité du matériau travaillé, l’ambiance feutrée et confinée, le calme, le fait que l’on passerait cent fois en côté sans s’apercevoir de son existence ? Visiter Battiloro, c’est une expérience sensorielle.
« Ça prend une éternité pour obtenir ne fut-ce qu’une petite tradition » (Henry James) : avec la devise de la maison, le ton est donné. C’est que si le battage d’or est une activité ancestrale, le geste n’a pas changé, à un détail près et de taille : chez Battiloro, le métal est encore frappé à la main alors que les rares manufactures européennes encore en activité frappent l’or à la machine.
C’est en 1969 que la maison Mario Berta Battiloro a été fondée dans l’esprit qui anime la famille depuis 1926, date de création des premiers ateliers familiaux spécialisés dans le battage des métaux précieux tels que l’or et l’argent. Ces feuilles de métal nettement plus fines qu’un cheveu font le bonheur de nombres de restaurateurs et d’artisans d’art à travers le monde. La qualité supérieure des feuilles d’or battues à la main par Battiloro fait maintenant aussi la joie des cuisiniers pour les mets les plus fous et on les retrouve aussi dans les cosmétiques très haut de gamme. L’effet visuel d’un fond de teint à la poudre d’or est saisissant.
Le processus qui permet de transformer l’or en carnets de feuilles ultra minces commence par rendre liquide la matière première par fusion pour en enlever les impuretés éventuelles. On crée ainsi un alliage en y ajoutant du cuivre et de l’argent pour jouer sur la dureté et les teintes désirées. Les lingots ainsi obtenus sont laminés à froid pour former une feuille déjà relativement mince de plus ou moins 40 mètres de long. Ces fines feuilles sont coupées en carré qui seront battus une première fois à la main pour les aplanir et les agrandir avant d’être recoupés en quatre.
La seconde phase de battage commence alors sous les coups de masse de 6 kilos jusqu’à l’obtention des fameuses feuilles d’or. Jusqu’à 9.000 feuilles seront ainsi produite par lingot avec les marteaux à chasser, les marteaux à commencer et les marteaux à achever. Les carnets seront finalement montés à la main dans une salle volontairement sombre pour pouvoir y faire les découpes parfaites des carrés d’or avec un gabarit. Les pertes sont nombreuses dans le processus de fabrication mais elles sont soigneusement récoltées pour être recyclées.
Cantiere Nautico Crea-> chantier naval, atelier d’art à Venise
A Venise, le choix pour se déplacer est simple, puisque même les vélos y sont interdits. Les jambes ou tout ce qui flotte feront l’affaire … Malheureusement je n’ai pas pu visiter d’atelier de fabrication de chaussures, une autre spécialité italienne. Je n’ai eu aucun problème par contre à visiter un des chantiers navals que l’on trouve partout aux abords de la ville.
Les Squeri construisent les gondoles et les Remeri fabriquent les rames et sculptent les forcole. Chacun sa spécialité, ce qui n’est pas le cas des squeri de la Lagune qui construisent toutes sortes de bateaux de travail ou de plaisance et qui les livrent équipés de leurs rames et de leurs forcole. Les remeri sont des artisans qui travaillent pour les gondoliers et pour les passionnés de régates. Crea fait partie de cette catégorie, c’est la raison pour laquelle on y trouve aussi bien des gondoles en construction ou restauration ainsi que les mythiques Motoscafo. Inspirés des Riva des années 50-60, ces luxueux bateaux en teck et en acajou vernis contribuent à l’image d’Épinal de Venise au même titre que les gondoles.
Rien n’est trop beau pour ces merveilles qui reçoivent jusqu’à 15 couches de vernis appliquées à la main. Ces magnifiques embarcations feront le bonheur des touristes puisque c’est le bateau roi des taxis. Mais il est possible aussi de s’en offrir un pour sillonner les Rii de la Sérénissime. Son profil allongé et assez bas lui permet de se faufiler en dessous des centaines de ponts qui compte la cité des Doges. Le niveau d’aménagement de ces bateaux n’a rien à envier aux voitures de grand luxe. Les prix sont d’ailleurs comparables. Quant à la gondole, le cygne noir de Venise, aujourd’hui utilisée, elle est constituée de 280 morceaux de bois (chêne mélèze, noyer, cerisier, tilleul, cèdre et contreplaqué) et de deux pièces métalliques situées à la proue et à la poupe. L’embarcation mesure 10,80 mètres de long et 1,38 mètre de large pour un poids de 600 kilogrammes. Basse et légère pour être maniable, elle est propulsée par un seul rameur qui se tient debout à l’arrière gauche en ramant du côté droit, d’où l’asymétrie de la gondole, modification introduite au XIXe siècle. L’axe transversal est ainsi décalé vers la droite pour tenir compte du poids du gondolier tandis que le côté gauche est plus courbé afin de garder une trajectoire droite.
Le Fero de Prua (terme vénitien pour désigner la figure de proue de la gondole) était à l’origine utilisé pour contrebalancer le poids du gondolier. Au cours du XVIIe siècle, il acquit une symbolique précise. Les six barres horizontales parallèles symbolisent les six Sestieri (« quartiers ») de Venise et la barre située en arrière l’île de la Giudecca. La courbure symbolise quant à elle le Grand Canal. Enfin, l’espace vide formé par la rencontre de la figure supérieure et de la première barre représente le Pont du Rialto. Il est toujours blanc.
Le nom de gondole est mentionné pour la première fois dans un décret du doge Vital Faliero de Doni en 1094. Mais son aspect actuel remonte en partie au XVIe siècle. Un décret dogal de 1562, imposa la couleur noire afin de mettre un terme à la compétition ruineuse qui opposait les riches vénitiens, ambitieux de posséder l’embarcation la plus richement décorée. La légende attribuant le choix de cette couleur à la commémoration des pestes est donc sans fondement. Avant cette réglementation, la gondole était menée par deux rameurs et ne se distinguait pas des autres embarcations vénitiennes hormis le fait qu’elle était utilisée comme moyen de transport privé de personnes. Ainsi, jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, les patriciens et les riches commerçants de la ville, engageaient des gondoliers pour leur service personnel.
Paolo Brandolisio -> Forcole, atelier d’art à Venise
Il n’y a qu’un seul endroit au monde où l’on trouve les rares ateliers qui fabriquent les forcole : Venise. Et pour cause, ce sont les boîtes de vitesse des gondoles, des pièces sculptées et ciselées à la main dont les formes sensuelles n’ont rien d’une fantaisie et qui servent de support à la rame du gondolier. Paolo fabrique rames et forcole.
Paolo Brandolisio, digne successeur de son maître Giuseppe Carli, considéré comme le plus grand Remer que Venise ait connu, sculpte ses Forcole (Forcola au singulier) dans l’atelier même dudit Maître Carli. C’est certainement l’un des métiers les plus anciens et typique de Venise et voir ces artisans, comme Paolo Brandolisio, sculpter ses Forcole, avec la même passion et le même art que ceux des maîtres Remeri qui l’on précédé, est un cadeau pour les yeux. La Forcola (fourche) est le point d’appui de la rame d’un bateau : elle est la pièce maîtresse qui subit toutes les contraintes de la manœuvre et de la propulsion. Les gondole (gondola au singulier) et leurs Forcole (au pluriel) à la forme si particulière sont exclusivement fabriquées à Venise.
Il existe trois sortes de Forcola : Forcola de proue, de poupe et de côté. La Forcola correspond aux mensurations et à la corpulence du gondolier. La forcola d’une gondole est une pièce très particulière en ce sens qu’elle doit être taillée selon les mensurations et la corpulence du gondolier et en tenant compte, autant que possible, de sa façon de ramer et de son maintien sur le bateau.
Paolo Brandolisio est un remer qui a été formé par le maestro Giuseppe Carli, dont il a repris l’atelier depuis plusieurs années. Il nous a expliqué que le meilleur bois pour faire une Forcola est le noyer, mais on peut utiliser aussi le poirier ou le cerisier. Pour une Forcola de gondole il prend un quart de tronc de noyer centenaire provenant du nord de l’Italie ou de Yougoslavie ; la pièce est d’abord dégrossie à la scie en suivant les lignes indiquées par les gabarits. Ensuite le travail de sculpture se fait à l’herminette et à la plane.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la forme étonnante de la Forcola ne provient pas plus de la fantaisie que du hasard : les efforts très importants subis par la Forcola se situent sur les Morsi (mors) qui sont les échancrures arrondies sur lesquelles s’appuie le manche de la rame.
L’emplacement de chaque mors correspond à la position exacte de l’appui de la rame nécessaire pour manœuvrer la gondole : marche avant, marche arrière, virage court ou rotation sur place… il y en a huit en tout. D’où la forme unique et magnifique de la Forcola! Il faut environ une trentaine d’heures pour réaliser une Forcola que le gondolier pourra utiliser normalement pendant une bonne vingtaine d’années, en enduisant régulièrement les mors de saindoux pour les protéger des frottements. L’unique rame de la gondole mesure 4,20 mètre de long et elle est soit en bois exotique (Ramino), soit, plus traditionnellement, en hêtre.
La Forcola est enduite d’huile avant d’être livrée, parfois elle est décorée… Cette “belle boîte de vitesse” est fabriquée sur mesure pour conduire une gondole qui ne fonctionne pourtant qu’à l’huile de coude ! La tradition vénitienne se perpétue ici entre les mains habiles de Paolo dans cet atelier historique.
Carlo Dona -> Outils traditionnels de verrier haut de gamme, atelier d’art à Venise .
Des outils comme des oeuvres d’art ! Pousser la porte du show room de Carlo Dona c’est découvrir la Rolls des outils. L’histoire commence en 1923 sur l’île de Murano mais au siècle précédent déjà, on trouve des traces du passage de la famille Dona dans les métiers de la ferronnerie à Venise. C’est cette tradition qui est maintenue dans l’atelier de Roberto. Depuis presque cent ans, la collaboration de l’atelier avec les maîtres verriers a permis d’affiner et des tester les outils sur le terrain au point qu’ils soient parfaitement ajustés à leur fonction. On peut se demander ce qui fait objectivement la réputation de ces magnifiques outils au point d’affirmer qu’ils sont meilleurs que les autres. Ces outils sont liés à l’histoire de la verrerie, de la culture de Murano et bien sur de l’histoire de la famille Dona. C’est ce mixe qui permet d’atteindre l’excellence. Une chose ne trompe pas, c’est que les outils Dona sont régulièrement copiés mais rarement égalés. C’est un signe. Roberto a commencé à apprendre son métier à l’âge de 15 ans et accumule des dizaines d’années d’expérience en plus de l’héritage familial. Sa collaboration avec les meilleurs verriers du monde entier fait le reste. Les outils Dona sont créés dans la Mecque mondiale du verre, c’est un état d’esprit. Chez Dona, vous n’achetez pas un outil, vous achetez une partie de l’histoire des verriers de Murano.
Achille Rossi -> Outils en poirier Magiosso, atelier d’art à Venise
Les mailloches sont des accessoires indispensables au travail des verriers. Ces outils sont tournés avec grande précision dans du bois de poirier qui supporte bien les contraintes intenses du travail du verre : il est constamment plongé dans l’eau et porté à des températures extrêmes quand les verriers y forment leurs pièces. Ces outils souffrent donc énormément et les verriers qui produisent beaucoup en changent régulièrement. Le travail de Achille est donc indispensable à la bonne marche des ateliers de Murano. Le matériel est ancien mais la précision que met le tourneur à créer ses moules à verre n’a rien à envier aux machines modernes qui seraient informatisées.
Construit en 1104 à l’initiative du doge Ordelafo Faliero, l’arsenal de Venise resta le plus puissant chantier naval du monde pendant plusieurs siècles. Son extension est progressive, motivée par le besoin pour l’Etat vénitien de maintenir en permanence sa flotte militaire en condition opérationnelle, autant que par le commerce maritime alors en plein essor. Entre 1303 et 1325, la superficie de l’arsenal est quadruplée. Elle sera encore doublée… Le travail à la chaîne 500 ans avant l’industrie automobile : 2 galions de 500 tonnes sortaient par jour des chantier de l’Arsenal. Ford n’aurait donc rien inventé !
Aujourd’hui, les embarcations qui font le folklore de la Regata Storica y sont précieusement conservées. Les Bissone (gros serpents en Vénitien) sont des bateaux véloces aux décorations agressives et multicolores en vue d’impressionner les adversaires lors des célèbres Regata habituellement disputées en septembre. Là encore, c’est le travail des artisans qui y est mis en valeur : chantiers navals, sculpteurs, doreurs, Squeri, Rimeri et même les verriers veillent depuis le 13ème siècle, date des premières régates dont les vénitiens ont toujours été friands. Nous avons eu la chance unique de visiter cet endroit fermé au public, sorte d’apothéose de notre voyage.
En conclusion, je garderai de cette semaine à Venise le sentiment jubilatoire d’avoir vraiment exploré un pan très peu accessible de la cité des Doges. Je suis finalement assez fier de ne pas avoir mis un orteil sur la Place Saint Marc ou foulé le Rialto pour ainsi dire. C’est une autre Venise que j’ai découvert, une Venise chaleureuse et discrète, voire secrète. Celle qui écrit les lettres de noblesse des métiers d’Art comme probablement nulle part ailleurs sur la planète. Une Venise un peu crédule aussi qui abandonne ses commerces à une foule de marchands du temple peu scrupuleux sur l’origine des objets manufacturés qu’ils proposent. Le risque est réel ! Comment faire la distinction entre un objet d’art manufacturé à Venise dans le respect de la tradition et les importations massives de souvenirs made in Asia?
A ce petit jeu, Venise perd de sa crédibilité et pire, elle y dilue son âme et son goût de l’excellence. Les dentellières ont déjà définitivement quitté Burano. Si le verre a quant à lui encore de belles pages à écrire, il n’en reste pas moins que les vénitiens doivent s’interroger sur la place qu’ils veulent encore occuper dans leur ville, aidés en cela par les pouvoirs publics qui doivent soutenir becs et ongles les artisans. Ici comme ailleurs finalement.
Mai 2015
Tout ceci n’aurait pas été possible sans Anuschka Bayens, Cesare Fuga et Sophie Voituron que je remercie du fond du cœur.
Spécialiste des ateliers depuis une dizaine d’années, Patrice Niset vous emmène au cœur de l’excellence et des beaux gestes. Il vous fait découvrir l’envers du décor. Patrice est passionné par les gens passionnés et fiers de leurs métiers !
Comment
J’ai eu la chance de pouvoir visiter individuellement les ateliers Battiloro et cela reste un souvenir merveilleux. L’atelier de forcole fut aussi une découverte fortuite. Quant aux chantiers navals Crea, je les ai découverts un dimanche grâce au Routard et j’y ai déjeuné en compagnie de Vénitiens loin des touristes.
Cela fait du bien de pouvoir encore faire ces découvertes dès que l’on s’éloigne de la foule!
J e voudrais faire découvrir ces trésors à une amie qui ne connait pas Venise…